Pour la lisibilité, le mieux c’est l’or Dans les étés de nos adolescences, le soir, tous les soirs, nous marchions en direction du cimetière, vers l’église Saint Claude, un peu loin du village, où les morts se tenaient à distance. Se faufiler au milieu des tombes nous amusait aussi et parfois nous jouions à nous faire peur. Martine, la plus facile à effrayer, avait à peine quinze ans et déjà comme une tristesse en son visage que ses longs cheveux noirs avaient peine à cacher. Jacqueline, sa meilleure amie, était tout son contraire, en plus longue, plus grande, toujours vive des musiques venues d’Angleterre ou des USA, de la voix de Joan Baez,des élans de Dylan. Elle avait déjà son petit ami qu’il faudra cacher plus tard quand il débarquera du bus avec sa guitare sur le dos et ses cheveux jusqu’aux épaules. Les villageois n’avaient jamais vu de hippies. Pierre et Denise étaient les seuls adultes dans la confidence. Pierre, le musicien,conseillait nos lectures, nos oreilles, nos goûts. Le regard myope qu’il portait sur notre petit groupe était à son image, patient, attentif, calme, serein, tendre. Denise, sa jeune épouse, était son aiguillon, drôle, gaie, enthousiaste, rousse, femme, comme les héroïnes de la nouvelle vague au cinéma. On ne devinait rien de sa petite taille quand elle était au volant de leur Caravelle décapotable. La lisibilité des lettres gravées sur les pierres tombales ? C’était pas vraiment le sujet de nos conversations nocturnes. La conseillère funéraire à présent veut savoir si je veux que l’on rajoute le nom de jeune fille de ma mère après ses deux prénoms. Je réponds « oui, bien évidemment ». La jeune femme, professionnelle jusqu’au bout des ongles vernis d’un discret rouge sombre, tient à m’informer: il faut compter 14 Euros par lettre.
Pris entre deux fragments de présent. On les voit si bien. Ils nous touchent. On remonte le temps. Le nom sur la tombe c’est important je crois. (14 euros par lettre! et combien pour la manucure?) Merci Ugo
Très beau texte, émouvant.
oh Ugo…la diagonale du coeur, et on est cueilli, toi aussi ?