#40jours #09 | personnages du réel

Ils sont ensemble. Toujours. L’un à côté de l’autre. Ils vont à la gare, en haut. En reviennent. Marchent. Souvent sur le banc de leur chemin. Toujours ensemble, ils parlent. Inlassablement, sans hâte. Comment n’ont-ils pas épuisé la parole à toujours être aux cotés l’un de l’autre ? Avec le temps, elle s’est raidie, elle ne le regarde guère, sa parole est devenue rare, quand la sienne a lui est intarissable. Il veut l’intéresser, la convaincre, insiste. Elle marche droit et lui, avance, s’interrompt, la contourne.

C’est Simenon vieux, plus petit, moins imposant. Un air à la fois bête et émerveillé, un regard dépourvu de prétention, de sagesse, celui qui sait être un tas de merde comme les autres. C’est Simenon qui aurait arrêté d’écrire et en serait heureux.

Il est tassé, arrondi, le regard comme prêt à filer. Il est le premier devant la boutique fermée le matin, il fume une cigarette. Parfois je le croise sur la place un sac plastique à la main : il livre. Ses dents sont mauvaises, ses yeux deviennent vitreux. Ses mains sont pales. Ses pieds, je ne les ai pas regardés. Il a un petit sourire où se mêle l’amer et l’acide, peut-être aussi, forcément, de la bonté. Ses phrases restent le plus souvent dans l’orbite du dialecte. Ses yeux se lèvent pour recueillir la commande. Déposant les pièces de viande sur la balance, sortant les petits pains du grand sac en papier, le geste est ponctué par un Hop-e-la. Je l’attends comme une respiration, comme un coup de cymbale. Bientôt le bientôt le patron l’utilise aussi, et parfois même, la patronne à la caisse.

C’est l’homme de l’Évangéliste. Il est allé la chercher en Roumanie romani. C’est le seul plombier qui n’a pas de travail. Il l’insulte dans la rie lorsqu’il la rencontre. Leur fille est la splendeur. Il parle seul quand il rentre saoul, salope de pute, il peine à introduire la clé dans la serrure de la porte. Le parrain, Carmel, dit c’est mon ami. Lorsqu’il marche le pied gauche parallèle à la surface du sol quand la jambe se soulève et frappe agacée le sol. Sa mère nourrissait des chats. Parfois l’un disparaissait : bombance. Il est mort pendant que j’écrivais ceci.

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735

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