Jean Levis 501, polo bleu clair Lacoste, cheveux bruns, plus l’allure d’un jeune homme mais encore celle d’un homme, accoudé à ma fenêtre, il prend des photos des gens et me les envoie sur mon portable pour que je les écrive. Il m’a rencontré il y a 25 ans maintenant et nous allons fêter cela dans quelques jours. Il aurait pu vivre sa vie seul, mais il a aimé mon sourire et ma folie et aujourd’hui encore, l’on se risque à vivre à deux. Qu’aurait-il fait s’il ne m’avait pas rencontré ? Que serai-je devenue si je ne l’avais pas retenu ? Il est l’homme de mon histoire, je suis la femme de la sienne, sommes nous les personnages d’un récit dont on ne connait pas la fin ?
Jour de vote, le bureau est en face de chez moi, déferlement de gens, tous différents, plutôt bien habillés dans cette petite ville pas si éloignée de Paris, sauf lui. Il vient de se garer, bermuda en jean, chemise rouge à manches courtes et sortes de sandales-sabots, crâne chauve et lunettes sur le nez, il s’apprête à aller mettre son papier dans l’urne quand brusquement il a un doute, « où ai-je mis ma carte d’identité ? » Il cherche dans sa poche de gauche, rien, fébrile, il regarde dans la droite, rien non plus, mince ! Il retourne dans sa voiture, tourne la clé en pestant et ne reviendra sûrement jamais.
Elle a mis sa petite robe verte adorée qu’il lui avait offert pour son anniversaire qui lui arrive au dessus des genoux et fait voir de longues jambes qu’elle habillent de sandales plates et d’un long sac à main marron. Lui, pantalon noir et t-shirt bleu, aucun goût, est à ses côtés et tient dans ses bras, certainement un petit garçon, leur enfant. Ils viennent d’aller voter et se sont disputés, l’enfant pleure. « Je t’avais dit de voter Nupes mais non toi, tu restes profondément bourgeois, tu votes encore à droite. « Mais Sophie… ». « Non, ne dis rien, tu n’as pas osé c’est cela ? C’est à cause de ta mère, c’est cela ? Tu ne veux pas lui avouer que je vote à gauche et que tu aimerais bien cela, mais je ne dirai rien, je te l’ai déjà dit, je ne dirai rien ! ». « Sophie, ce n’est pas cela… ». « Ah ! c’est quoi alors ? « . » Ecoute, je ne peux pas tout changer maintenant, c’est trop tard, j’ai voté. Mais je te promets que la prochaine fois « . » La prochaine fois ? ce n’est pas pour demain ! ». « Sophie, on va prendre le thé chez mes parents, s’il te plait ! ». « Oh ne t’inquiète pas, je ne dirai rien, mais s’il te plait, on ne parle pas de politique, s’il te plait. » « Mais Sophie, tu les connais ». » Justement ! je ne veux pas, trouve un autre sujet ».
Jamais il ne sort de chez lui sans son pantalon flanelle beige, son vélo, son gilet jaune, son casque, son panier devant lui, son air de bon père de famille. Et pourtant, il fait chaud, il fait beau et il habite à quelques pas de là. Mais non, jamais il ne sort sans toute la panoplie. Et pourtant il rêve dans sa tête d’enlever tout cela, il aimerait courir nu, les cheveux courts au vent, les pieds dans des baskets toutes pourries, sa carte d’identité brandie à bout de bras, et légèrement, en sueur, il aimerait entrer dans la salle de vote, tel Adam au Paradis, et virevoltant entre les cabines, oser voter ce qu’il n’ose pas voter. Cela fait des années que Charles-Henri rêve de cela, mais y arrivera t’il ?
» Mince, où est ce que j’ai mis mes cigarettes ? » pense t’elle en regardant dans son sac, sa petite fille marchant à ses côtés « et lui, qui ne s’arrête pas, bordel quelle journée ! « . Lui, c’est Arnaud, qu’elle a épousée il y a 15 ans et déjà deux enfants, qui ne sont plus des bébés. Elle, c’est Virginie, elle l’avait trouvé si beau à l’époque. « Mais pourquoi ne s’arrête t’il pas ? « . Elle lève la tête et le voit, les yeux rivés sur une jolie blonde qui arrive en vélo, robe bleue à fleurs, sage, lunettes noires, il la regarde se diriger vers la salle pour voter lorsque brusquement, il croise son visage à elle. « Qu’est ce que tu fais ? » « Comment ça qu’est ce que je fais, je cherche mes cigarettes et toi, tu n’arrêtes pas d’avancer et de… ». « De quoi ? » « Rien ! » « Bien dis moi, qu’allais tu encore dire ? » « Comment ça ce que j’allais encore dire ? » « Ecoute, on va voter, c’est fait, les enfants vont bien et toi tu me fais une histoire ! » « Mais non, je cherche mes cigarettes, c’est tout, j’aimerais fumer, c’est tout ! ». Leurs enfants les regardent, ne comprennent pas.
Tee-shirt blanc, pantalon bleu, petites baskets blanches, le bras mou, le long du corps, le genou en mouvement, un peu courbé, de la jambe gauche. Elle marche nonchalamment et ne cesse de se demander « Bon pour qui je vote ? le maire fera un bon député mais bon c’est encore la droite mais Mélenchon en premier ministre, non quand même pas, bon j’ai encore le temps de réfléchir, comment je suis habillée ? Merde, je n’aurai pas du mettre un jean, il fait encore chaud. Je suis sûr que je vais rencontrer des gens que je connais, Nathalie peut-être, oh non pas Nathalie, je la hais cette femme, toujours sur son 31, jupe assortie, talons aiguilles et sa mise en pli si impeccable. C’est pas sa voiture ? Ah non ! bon alors pour qui je vote ? Je suis sûre que Nathalie va voter à droite, bon, je l’emmerde, je vote pour la gauche et je lui dirai le contraire si elle me demande. De toute façon, je la hais cette connasse ».
Il marche, clés de sa voiture dans la main droite, la gauche touchant ses cheveux presque longs grisonnants, tee shirt blanc, laissant deviner un peu d’embonpoint, pantalon noir, presque un survêtement et des chaussures noires, des doc martins, sur le sol, son ombre qui se dessine sur le béton trop chaud. Elle revient du bureau de vote, cheveux grisonnants, lunettes noires sur le crâne, masque sur le nez, tee shirt blanc, laissant deviner le ventre d’une femme plus si jeune, jean bleu et chaussures noires, un peu mocassins, à l’ancienne. Elle tient à bout de laisse, un petit chien. Ils sont à quelques mètres l’un de l’autre mais ne se sont pas encore vus et pourtant tout en moi me dit qu’ils vont se rencontrer. Il arrive dans sa direction, le petit chien aboie, elle lui dit de se taire, s’excuse auprès de lui, il sourit « ce n’est pas grave, j’aime les chiens » « Ah oui ? » Fébrilement, elle enlève son masque, il la regarde, elle ne sait plus quoi dire. Un silence heureux. « Euh, je dois aller voter » « Oui, moi j’en viens » « Et ça été ? » Elle rit « Oui ! » « Bon, je dois y aller ! » « Oui » « Euh.. » « Ecoutez, je vais promener mon chien là dans le parking, si vous voulez, je vous attend ». « Euh, ben oui d’accord, je me dépêche ! » dit-il en courant un peu mais pas trop car il fait trop chaud en doc martins et elle lui fait un petit signe de la main. « Bon tu sais, mon Benny, on va pas rentrer tout de suite, on va marcher un peu, tu vas faire un pipi d’accord, d’accord Benny ? » Le petit chien est ravi.
Contente de les rencontrer tous celleux-là, grâce à ton écriture attentive et précise. Vraiment ravie de t’avoir vue, touchée, écoutée, rencontrée « en vrai », samedi. Encore un grand merci d’être venue, d’avoir bravé la canicule et d’être restée ce long moment à échanger. A bientôt, ici ou là
Tout pareil pour moi Cécile, à très vite.
Merci d’avoir gardé mémoire d’un jour (qui finit trop bleu) . Merci de ces traces portraits .
Merci Nathalie.