Braderie d’été dans l’avenue traversant la ville livrée à la piétaille. Badauds sur la chaussée. Ombre rabougrie aux pieds des immeubles barnums sur le trottoir. Femme rousse en tenue d’une seule pièce pantalon flottant haut fleuri sandales et sac-à-main d’un même cuir blanc. Se penche sur la layette parce qu’elle a épousé un homme connu depuis l’enfance qu’elle avait jugé minable jusqu’au coup de foudre ce jour de retrouvailles au banquet des anciens élèves du lycée privé. Attend leur deuxième enfant. Fillette sur le trampoline gratuit, menue, traits indiens couettes brunes chevilles très fines. Ne s’arrête pas de sauter malgré parents, chaleur, faim parce que déjeuner représente un gaspillage de ce temps qu’elle sait précocement fuyant depuis qu’une copine de classe un matin ne s’est pas réveillée. Se demande où elle est maintenant. Femme noire au téléphone boubou coloré foulard même étoffe claquettes. Se presse parce qu’elle doit garder les deux filles d’un couple toujours travaillant tandis que ses filles à elle attendent chez une tata au village que leur mère ait gagné assez d’argent pour les faire venir ce qui n’est pas pour demain puisque l’argent elle l’envoie à la tata pour les faire vivre au village. Elle explique ça au téléphone dans sa langue. Groupe d’hommes pantalon sombre chemise claire bien repassée tsitsit kippa. Marchent d’un pas lent lançant des regards lointains aux objets proposés sur les étals parce que c’est samedi, se parlent du plus jeune des frères parti se marier en Israël avec une fille rencontrée lors d’un mariage, disent le long chemin que sera pour lui devenir rabbin. Se taisent. Couple aux cheveux gris chemisette à carreaux pour lui jupe lin bleue mi-longue pour elle souliers confort. La femme essaie un chapeau à large bord très souple ruban groseille parce qu’à quarante-et-un an se découvrant un cancer sans mortelle gravité avait envoyé balader son boulot de cadre financier dans une multinationale indigne pour faire le tour du monde, avait rencontré sur les rives du Mékong l’homme qui aujourd’hui lui sourit de ses yeux à peine visibles entre la fente étroite des paupières. Préparent leur départ estival pour Biarritz. Mère fille même démarche chaloupée la première maigre l’autre serrée dans un legging fluo flanquée d’un adolescent jambes immenses tee-shirt foot Mbappé. Enfonce des écouteurs dans ses oreilles musique à fond parce qu’il ne sait pas on le lui demande sans cesse on l’interroge tous les jours il ne sait pas a beau se creuser la cervelle ne trouve pas la réponse à cette question qu’on lui pose à l’école à la maison partout ne sait pas ce qu’il veut faire ce qui le tente comme orientation professionnelle ce qu’il veut c’est qu’on lui dise où est son père. Aura quinze ans demain. Homme cinquantaine tee-shirt noir cachant bedaine pantalon large de travail toile blanche mains croisées dans le dos. Immobile parce que c’est son tour de tenir le stand des feuilletés au fromage qu’il a préparés à l’aube comme tous les matins ses feuilletés au fromage recette secrète héritée de l’oncle pour laquelle il a reçu la distinction meilleur ouvrier de France à l’âge de vingt-sept ans. N’arrive pas à compter combien ça en fait de feuilletés au fromage. Jeune femme short en jean crop-top tatouage soleil autour du nombril piercing narine oreille maquillage allongeant les yeux ongles factices allongeant les doigts. Fait défiler sur le portant des maillots de bain qu’elle ne regarde pas parce que ça tourne dans sa tête ce que la cheffe lui a dit hier qu’elle est flemmarde une vraie fainéante un boulet flemmarde fainéante boulet flemmarde fainéante boulet. Se mord la lèvre jusqu’au sang. Pigeon dit ramier col blanc plumage gris zinc une brindille dans le bec jaune posé sur la moulure déglinguée de l’ancienne papeterie façade bois peinte barbeau. Regarde l’activité inhabituelle des humains en tournant la tête pour vision panoramique puis s’envole construire un nid quelque part.