C’est jour d’élection à Sauveterre. Les gens arrivent par la porte du château, le pont-levis, et se plantent là. De tout petits groupes, deux, trois, quatre personnes qui se postent sous le porche au pied des tours, totalement masquées par des panneaux en tôle ton pierre masquant les échafaudages couvrant la façade et la toiture du château, structure de métal et filets de ravalement. Ou devant la porte de la salle des mariages où se trouve le bureau de vote, non dans la mairie, un peu plus haut. J’arrive par-là, d’en haut, devant la maison Gautret où vécut Émile Gaboriau, portail ouvert, la sous-préfecture à côté et la mairie en face. Je descends, passe sous le porche, couvert lui aussi de panneaux de bois, à contresens des votants qui montent. Certains arrivent de la place du château où je débouche. Ils viennent de se garer. Le parking pavé est plein. Il est surtout réduit, à gauche, par l’espace dédié au chantier derrière des grilles, des sacs à gravats jaunes Tout Faire, énormes, une bétonnière couleur ciment, deux bennes à déchets vert foncé, des planches grises dedans, des bungalows blancs, des toilettes mobiles bleues entre les deux. Derrière, le monument aux morts et son Poilu. Je me faufile entre les véhicules. Des gens arrivent par la droite, de l’autre petite place peut-être, l’Office de Tourisme au coin, le salon de coiffure, l’agence immobilière, et au milieu l’entrée de la ruelle pour une Sauveterre souterraine. Je m’arrête devant l’allée pavée qui descend place de la République, et sa statue qu’on devine, les rangées de tilleuls en parallèle à droite, les véhicules à l’ombre, quelques personnes en terrasse du Coq d’Or sous des parasols, les façades à gauche, à deux niveaux, rarement trois ou sous les combles, quelques balcons, la bande de gazon le long de l’allée, la rue en contrebas. On arrive aussi par les escaliers. Et hormis ce vieil homme sur le banc, cheveux blancs, chemisette rose, bermuda beige, sandales de cuir, la main droite sur la joue, observant je ne sais quoi sur le trottoir d’en face, je me demande où se trouve le poste de recharge. Aucune voiture brachée. Et pourtant, juste là à côté de la poubelle, à mes pieds, attachée au vieux réverbère, se trouve la borne grise et ses lumignons, Libre (vert), En charge (bleu), Occupé (bleu foncé), Indisponible (violet), Badge invalide ou en défaut (rouge). Tant pis. Je vais voir plus bas le tonneau rouge, à côté de l’escalier, transformé en boîte à livres.
Le poste de recharge est plus facilement repérable aux Antilles, avec sa grande ombrière, son trottoir, ses grandes bornes grises et les fils noirs branchés aux voitures, une grosse boîte de transformation électrique en hauteur, voyant rouge. On est au milieu du parking récemment goudronné. Les arbres ont poussé. On aperçoit au loin la cheminée de la centrale géothermique, ses bandes vertes et blanches spiralées. Mais on ne voit presque plus le casino, en bas, sa grande enseigne rouge. Là où les voitures se massent. Sauf ce jeune couple enlacé, un grand sac de sport aux pieds, qui va monter aux Antilles dont on perçoit la grande toile blanche à bosses derrière la rangée de cyprès. Mais pourquoi se sont-ils garés si loin ? En face, la nouvelle résidence Vacances Bleues dite des Coteaux. Un grand bâtiment blanc carré, des balcons qui font penser à la structure extérieure du Mucem, à Marseille, cette dentelle de fer forgé aéré, ombragé, face à la mer. Et toujours ces lampadaires d’un bleu intense à deux cloches.
La même ombrière, à cheval sur le trottoir et des places en épi pour se garer, abrite le poste de recharge quelque part dans l’enceinte du stade. Il n’y a personne. Juste quelques voitures sur le trottoir, dont un traiteur. Et une dame près de l’ancienne piscine, au téléphone. Le vieux stade de foot où tu venais surtout les jours où il y avait sport. Tu longeais la piscine, passait le portillon à droite, descendait le long de cette structure blanche de béton noire sur sa frange haute, pour rejoindre les vestiaires du gymnase, le long de son mur blanc et ses impostes. C’est la porte du bout, près du carrefour. En face, rien ne semble avoir changé. C’est toujours cette rangée de maisons où l’entrée se situe à l’étage, sur le balcon. Sauf Ada17, complexe cubique pour laboratoire où l’on effectue des dialyses, et la Maison médicale Chanzy, regroupant un cabinet infirmier, un ostéopathe, un sophrologue, un hypnothérapeute et une thérapeute individuelle et familiale qui doit relever de la psychanalyse. Mais pourquoi pas psychothérapeute alors ? Ce qui a changé, c’est la piscine. Elle a disparu pour laisser place à une plateforme de goudron couverte par une sorte de grand plateau blanc à pieds gris, plus ou moins de travers et pas alignés. Une structure sommaire qui se veut sculpture, d’une certaine manière. Reste le plongeoir, duquel je n’aurai sauté que la nuit, l’été, quand on rentrait de boîte. On se faufilait par un trou quelque part dans la clôture du stade. Il y a aussi deux minipelles jaunes dans un couloir de terre battue entre deux maisons, et un tas de sable.
À la gare, ce sont deux ombrières parallèles, pas très larges, qui courent sur toute la longueur du nouveau parking. Les deux postes de recharge sont bien visibles, à l’entrée, mais à découvert. On se demande bien pourquoi. C’est l’espace des anciennes voies de garage qui a été réaménagé. Le parking se situe entre deux lignes encore visibles, pour qui veut bien chercher dans les hautes herbes, près de l’entrepôt désaffecté. La gare est un peu plus loin, avec ses places d’origine, devenues arrêts minute, autour de deux ilots de trottoir rouge, son abribus, son massif à l’entrée et ses arbrisseaux chétifs disséminés, les quatre gros marronniers derrière, près de la gare, et le petit bâtiment adjacent de la direction des infrastructures de la ville. Sur la droite, la voie qui mène au garagiste de ME, où je vais aussi. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Il y avait en face de la gare, dans la rue par où je suis arrivé, une veille imprimerie sans ouvertures ou presque, un carré de verdure en friche. Aujourd’hui, il s’agit d’une résidence pour curistes avec un joli jardin vert à petits massifs floraux, pas japonais et gazon ras. En face, toujours cette bâtisse qui sent la maison de pension. Je n’ai su de quoi il s’agissait. Je suis toujours passé devant pour prendre à gauche et repartir le long du parking, des ombrières, de la vieille ligne cachée dans les herbes folles.
(Une ombrière, on en trouve une autre devant le lycée, une grande. Mais ici, pas de poste de recharge. Juste une grande ombrière en forme d’ailes. D’ailleurs, sur Google Earth, il y a un endroit précis où elle s’envole, quand la Google car, en machine à remonter le temps, de juin 2021 nous ramène en juin 2013, sur le grand parking à ciel ouvert, des places le long d’un muret, et quatre femmes de ménage ou des cantinières et blouse et pantalons jaune pâle sur le trottoir, à se raconter quoi ?)