Au dernier étage de ce grand magasin, en plein cœur de Tokyo, la vue est magnifique, dans cette lumière laiteuse de l’après-midi. La veille, tu es venu accompagné par un guide qui connaît bien la ville. C’était le clou de sa visite. Tu as réussi à monter à nouveau jusque-là. La vue est tellement incroyable. Toute la ville se déploie à perte de vue. Tu voudrais rester là toute la journée, à contempler le paysage de la ville tentaculaire, mais c’est impossible. Il faut redescendre. La porte bleu par laquelle tu es arrivée sur le toit, s’est brusquement refermée derrière toi toute à l’heure, tu n’y as pas prêté attention sur le coup, attiré par la vue, impossible désormais de parvenir à l’ouvrir à nouveau. Un escalier dérobé s’offre en solution de rechange, sur la droite du bâtiment. Marches et murs en béton, lisses et froids, à angles droits. Tu redoutes devoir descendre à pied tous les étages de l’immeuble. Après plusieurs minutes qui s’éternisent, le ciel au-dessus de la tête, tu débouches sur une terrasse à l’air libre, larges pavés, bacs d’arbustes et de fleurs si parfaites qu’elles paraissent artificielles, le parvis est entouré par les vitres des immeubles avoisinants, vitres épaisses en verre fumé à travers lesquelles tu crois déceler des silhouettes mais dont tu n’es pas certain qu’elles puissent te voir. Aucun signe quand tu t’adresses à elles, appelle à l’aide en faisant de grands gestes désespérés qu’elles jugent sans doute déplacés. Le bruit de la circulation en contrebas te rassure un bref instant, tu sens que tu es proche de la rue, c’est bon signe, et pourtant tu ne sais toujours pas dans quelle direction aller pour sortir de cet immeuble. Tu longes toutes les vitres à la recherche d’une issue. Au bout de la terrasse une passerelle conduit au niveau inférieur, elle forme une courbe à la douce déclivité. Elle se transforme en pont qui surplombe une route très passagère. Pour empêcher toute tentative de suicide la structure du pont est protégée par un haut-vent en plastique transparent. Derrière, la réalité semble floue. Les silhouettes évasives des véhicules glissent et t’échappent fuyantes. Le pont s’achève un peu brutalement sur le seuil d’une porte close. A droite l’accès d’un escalier à clairevoie est bloqué par des barrières de sécurité, sans doute à cause de travaux à venir. Tu ne parviens pas à déchiffrer le message écrit sur le panonceau accroché à une chaînette métallique. Tu ouvres la porte. Elle te résiste un peu mais finit par céder à tes à-coups. Te voilà propulsé contre toute attente dans les coulisses d’un grand magasin, mais sans être totalement sûr qu’il s’agit du même que celui par lequel tu es entré toute à l’heure avant de rejoindre la terrasse du dernier étage. Les hauts-parleurs du magasin diffusent les annonces des réclames de différents produits en Japonais. Le volume sonore des conversations des clients rivalisent avec celles des vendeurs, toutes les sonneries et vibrations électriques vibrionnent dans l’air climatisé, les souffleries du magasin s’additionnent pour créer un air assourdissant. Un mur à mi hauteur t’empêche d’accéder de l’autre côté. Tu le longes espérant trouver une sortie. Toutes les portes sont fermées à clé. Au bout du couloir, un ascenseur. En entrant un doute te saisit, tu ne sais pas sur quel bouton appuyer. Le guide t’avait bien montré comment y accéder la dernière fois, dans l’autre ascenseur, mais dans celui-ci aucun chiffre ne figure sur les boutons, tout est écrit en japonais, les kanjis te font perdre tes moyens. L’ascenseur est fermé, ses parois métalliques en inox, une odeur de renfermé, on dirait plutôt un monte-charge. Seul dans l’habitacle, le temps te paraît long, aucune indication des étages parcourus par la machine aux rouages bruyants et aux secousses qui trahissent la vétusté et l’ancienneté de l’engin, au-dessus de ta tête un néon clignote par intermittence. Lorsque la porte finit par s’ouvrir, impossible de deviner où tu te trouves, tu croyais accéder au rez-de-chaussée de l’immeuble par où tu es entré, mais tu as dû te tromper en appuyant sur le bouton. Cela ressemble à un parking, mais aucune voiture garée à cet étage. Les piliers de soutènement n’indiquent aucune chiffre qui pourrait te permettre de te repérer. Les lumières blafardes des néons sont ternies par la poussière qui s’est accumulée avec les années autour du verre dépoli censé les protéger, ce qui renforce cette impression de perte de repères. Sans aucune fenêtre à ce niveau, la lumière extérieure ne parvient pas jusqu’ici, tu ne sais pas à quoi ce lieu sert, et si tu as même le droit d’y être, ce qui te rend mal à l’aise et t’incite à fuir au plus vite. Des bruits de mécaniques lointaines troublent ta perception et renforce tes craintes. Tu fais quelques pas en retrait pour tenter de te repérer, il doit bien y avoir quelque chose d’écrit, un panneau indicateur, une flèche, un plan dissimulé quelque part ? La seule issue que tu déniches est cette porte à double battant dont il faut pousser le levier pour actionner l’ouverture automatique. Tu hésites à le faire sans savoir ce qu’il y a derrière cette lourde porte. Où cela va te mener. Même si l’ascenseur n’était pas très convivial, tu te dis qu’il vaudrait mieux rebrousser chemin, revenir sur tes pas, et t’y engouffrer avant de te perdre plus encore. Tu te retournes vers l’ascenseur dans un geste un peu précipité mais les portes viennent juste de se fermer devant toi. Leur bruit résonne encore à tes oreilles, menaçant et sentencieux. Quand tu appuies à nouveau sur le bouton, il tarde à s’ouvrir. Tu insistes. Une fois, deux fois. Plus d’ascenseur. Tu décides de braver l’interdit et de pousser la porte à larges battants. Elle s’ouvre plus facilement que tu ne l’imaginais. Et c’est toute la ville, ses bruits assourdissants, les lumières éclectiques de ses enseignes sur les façades de ses immeubles, de ses feux de signalisations, sa moiteur et sa pollution, l’air chargé d’une odeur épaisse, douceâtre qui fond sur toi. Un pas hésitant. Les passants te frôlent dans la rue. Sans te voir. Il fait nuit.
connais pas le lieu, mais ça me renvoie à pèlerinages dans quartier des tours informatique photos etc… merci pour le virage au fantastique, encore plus résolu à aller y explorer
Merci François, je me rends compte que dans ces ateliers l’important c’est de tenter d’aller au bout de chaque tentative, et quelque soit l’intérêt du texte écrit, ce qui compte c’est ce qu’on parvient à toucher dans ce texte, ce qu’il nous révèle, les pistes à développer à partir de lui. Et c’est dans l’exercice quotidien que c’est seulement possible, ça c’est sûr !
happée par cette descente en labyrinthe.
Merci Nathalie, j’ai eu du mal, cela m’a pris du temps à l’écrire, mais à un moment je me suis senti prisonnier du lieu que j’inventais à partir de plusieurs souvenirs de cette ville, et qu’il devenait difficile de trouver la sortie de ce labyrinthe que je n’ai saisis qu’à la dernière minute, à la nuit tombée.