Sitôt sorti de la gare, le train de banlieue laisse derrière lui les panneaux de mosaïques occultistes de Lima de Freitas et s’engouffre dans un tunnel long d’une minute. Soixante secondes d’un paysage de fer et de pierre, suintant d’humidité même par la journée la plus chaude. Des ouvriers, casque jaune, y travaillent constamment, avancent avec désinvolture, tels des funambules, sur un échafaudage de passerelles étroites puis disparaissent par des escaliers en colimaçon aux marches grises. De mystérieuses portes percent les parois arrondies de ce tube sombre qui semble infini. On les suit en silence dans leur impossible quête. La première strate ressemble au monde d’en haut, sous la lumière artificielle des lampes, un groupe d’hommes, assis autour d’une table, mangent en silence, déchirent avec leurs mains noires un pain gigantesque, qu’avidement ils dévorent, les miettes qui tombent disparaissent comme absorbées par la terre. Au bruit tonitruant de la locomotive, ils deviennent de marbre, puis s’effacent pour donner lieu à un monde de créatures blafardes, yeux vides, couchées dans des lits pour enfant aux hautes barres verticales, attrapant au vol les débris venus d’en haut. Dans la dernière strate, ceux qui font semblant d’être morts, ressemblants et flous, yeux fermés, un trait droit sur le visage en guise de bouche, chantent tout bas dans leur cercueil de velours le plaisir de l’immobilité. Au retour, le train suit horizontalement et sans déviations l’itinéraire établi, glisse en douceur jusqu’à la barre d’arrivée, s’arrête en face de l’un des panneaux du Maître, intitulé « Le chemin du serpent », un tableau gigantesque divisé en trois parties représentant le chemin vers la connaissance, la sagesse, la lucidité, en aucun cas le bonheur.
Texte inspiré d'un poème d'Alexandre O'Neill, "Table"
Mets la table/mange à table/débarrasse la table/travaille à table/ tourne la manivelle/descends/ c’est un lit/ ouvre le lit/fais le lit/ joue sur le lit/dors dans le lit/tourne la manivelle/ descends encore/ c’est un cercueil/ construis le cercueil/tapisse le cercueil/ entre dans le cercueil/ferme le cercueil/c’était pour rire/tourne la manivelle/monte/c’est un lit/tourne la manivelle/monte toujours/ c’est une table/pose tes coudes sur la table
Quelle descente aux enfers, bravo.
Merci, Laurent !
oui la descente aux enfers comme chez Dante? Beaux tableaux mystérieux
Merci, Emmanuel !
terrible descente avec ceux qui font semblant d’être mort… cet espoir…
n’ai pas pu résisté à venir faire un tour du côté de chez toi
Oh, merci Françoise ! Contente de te retrouver à bord ! Et je vais vite te lire.