Pour la glace, pour la confiture, il faut descendre à la cave, pour la glace à la cave de devant, pour la confiture à la cave de derrière, ou le contraire, pour la glace à la cave de derrière, pour la confiture à la cave de devant, l’enfant ne sait plus, il n’a jamais su, il descend des escaliers, il marche sur des vers à queue – des éristales, on les appelle, des larves de mouches – et il tourne la clé dans la serrure, un tour à gauche, un tour à droite, il ne sait pas non plus, il se demande si on tourne la clé dans le même sens quand on descend à la cave de devant et quand on descend à la cave de derrière, et une fois dans la cave, il sait laquelle c’est la cave de devant, laquelle c’est la cave de derrière, la cave de derrière, c’est celle où ça pue la choucroute rance, elle est dans une sorte de tonneau, la choucroute rance, avec une planche dessus, c’est dans la cave de derrière, mais peut-être que c’est dans la cave de devant, l’enfant ne sait déjà plus, il y a l’armoire à confiture et le chauffe-eau, une vieille machine à traire, un trou près du chauffe-eau, et l’enfant se demande ce qu’il y a sous la cave de devant et sous la cave de derrière, il se demande s’il y a un passage secret entre la cave de devant et la cave de derrière, on creuse à la truelle comme sur la petite montagne, et on arrive où, si on creuse assez longtemps, on arrive à un coffret avec de l’or ou on arrive à des os, un crâne, une mandibule, un tibia et c’est une arrière-arrière-arrière-grand-mère qui a été enterrée là et l’enfant à peur de creuser sous la cave de devant, il reste planté devant l’armoire à confiture et ça pue la choucroute rance, il y a une pelle dans la cave de derrière, c’est une pelle trop lourde pour l’enfant, avec la truelle, on creuse mieux, on prend aussi un tamis, pour l’or, parce que si on creuse longtemps, il y a des ruisseaux souterrains et on trouve l’or au fond des ruisseaux mais il faut creuser très longtemps et il fait nuit noire et il y a ces os, cette mandibule, la vieille qu’un vieux de l’époque avait assassinée, et quand il y a des os, il y a des fantômes, et ça pue la choucroute rance, la choucroute rance, c’est une odeur de vieux, ça sent le renfermé, ça sent la nuit, ça sent qu’on arrive tout au fond du tonneau, là où ça macère, là où ça pue le plus fort, et l’enfant sait que si on creuse encore plus on arrive en Nouvelle-Zélande, mais il faut toute une vie pour creuser jusqu’en Nouvelle-Zélande, plus que toute une vie, et la vieille, ses os, sa mandibule, elle continue à creuser, elle n’a pas trouvé d’or, elle n’a trouvé que des cailloux, que de la terre, que de la nuit mais elle creuse encore, et l’enfant c’est dans sa tête que ça creuse et que ça creusera toujours, jusqu’à ce qu’il le trouve, cet or qu’il y a tout au fond.
étrange étrange étrange avec l’arrivée en NZ !!!
Quand on était gamins, avec mon frère, on y a vraiment cru, qu’en creusant la terre à la truelle, on arriverait jusqu’aux antipodes… (le trou s’est arrêté à cinquante centimètres).
J’ai adoré votre texte !
Un peu perturbé au départ par la syntaxe et ces deux caves, et justement c’est ce qui permet le vertige des sens.
Merci beaucoup !
Merci beaucoup, ces deux caves, celles de ma maison d’enfance, je les explore plus en profondeur dans mon chantier, Grange, que l’on peut trouver ici : https://www.tierslivre.net/ateliers/chantier-grange/ (page 10, puis page 67, puis page 155)
Je lis et relis votre dernière phrasee t m’en régale et imagine très bien les enfants que vous étiez
Merci beaucoup, Danielle. Nous étions des enfants rêveurs…