Lorsqu’il devint certain ou très probable (il restait des sceptiques) que les épisodes de canicules se reproduiraient chaque année et iraient en s’amplifiant en durée et intensité, lorsqu’il fut évident que les formations aux bonnes pratiques n’avaient aucun succès, quand il fut établi que les installations de climatisation seraient insuffisantes et qu’il devint urgent de fermer les piscines publiques qui se transformaient en coupe-gorge sous la pression des foules, les municipalités furent sommées d’établir des plans de prévention et d’abord un inventaire des lieux souterrains. Les urbanistes, architectes, pompiers et services de voirie et même les historiens locaux furent mis à contribution pour répertorier les ouvrages enterrés.
Lissieu se félicita d’avoir entrepris la restauration du souterrain de Bois Dieu bien qu’on ne sût toujours pas s’il correspondait ou non avec les galeries en arête de poisson de Lyon ; on porta aux nues l’initiative de l’association qui avait remis en état la glacière de Bois Dieu ; on redécouvrit sur le territoire des réserves souterraines d’eau de pluie et ces étranges galeries horizontales qui servaient à nourrir par infiltration des eaux quelques puits disséminés dans les cours des anciennes fermes ou dans les maisons ; l’exploration des caves des châteaux (dont certains même détruits avaient conservé leurs dépendances enfouies comme le château de Montvallon) reprit avec l’aide des adolescents qui en restaient les meilleurs connaisseurs malgré les interdictions. L’ensemble de ces ressources restait modeste pour abriter toute la population, même si on excluait celle qui habitait encore des maisons des années 60 avec sous-sol. La mode en était passée depuis longtemps : la maison actuelle à Lissieu comme ailleurs avec toit-terrasse n’avait pas de sous-sol, tout au plus un vide sanitaire (plus ou moins bien réalisé, au point que dans certains il était impossible de rentrer) et un garage encombré et plus mal isolé encore que l’habitation. On enviait presque ceux qui avaient choisi d’habiter ces bâtisses anciennes et paysannes aux murs de pierre et de pisé; parfois ils avaient encore des caves. On regretta aussi la petitesse des arbres replantés après l’abattage des chênes centenaires et on s’aperçut que les palmiers chinois et autres arbres exotiques qui avaient remplacé les vieux arbres fruitiers en prévision du réchauffement climatique donnaient une ombre bien maigre et pas de fruits. Beaucoup d’ailleurs n’avaient pas survécu aux restrictions d’arrosage, même si elles avaient été plus ou moins respectées.
Ces terriers collectifs ne furent pas du goût d’une population qui avait toujours combattu l’habitat collectif et bien souvent ne saluait plus ses voisins pour des histoires de haies mitoyennes non réglées. Alors on se mit à creuser des grottes individuelles dans les pentes fragilisant tous les murs de soutènement bâtis pour remblayer les dénivelés et établir piscine et terrains de pétanque. Plus personne ne jouait aux boules et les piscines étaient vides depuis longtemps. Il y eut des accidents, des éboulements, des ensevelissements, des crises de panique, des disputes et même des procès contre les architectes qui avaient établi les plans absurdes et la municipalité qui avaient délivré des permis de construire ineptes. Cela n’empècha pas Lissieu de continuer à cuire, l’albédo de ses murs blancs dans ses allées sans arbres réfléchi contre les panneaux gris anthracite qui avaient remplacé les haies végétales créait de véritables fours où un poulet aurait cuit en peu de temps. Lissieu se rappela les fours offerts à Bagassi (Burkina-Faso) pour diminuer la consommation de bois ; c’est tout Lissieu qui désormais cuisait dans le grand four solaire qu’il s’était fabriqué tout seul,et l’on rêvait désormais de grottes profondes et fraiches.
Mais on s’adapta cette fois encore, plus ou moins, plutôt moins bien que toutes les populations qui avaient gardé des attaches rurales ou dont les enfants avaient choisi le retour à une vie sobre ; tous ceux-là s’empressèrent de déménager abandonnant leurs résidences même s’il n’était plus possible de leur trouver preneur. Les Lissilois avaient de puis longtemps perdu leurs racines et quant à leurs enfants ils avaient plutôt choisi de prospérer dans les mégalopoles du bout du monde où il faisait encore moins bon vivre qu’à Lissieu.
cela donne envie de voir une suite. Il y aurait matière non?
Assez réaliste malheureusement.
Merci. Une suite je ne sais pas, mais je me suis fixée pour contrainte d écrire les 40 textes sur Lissieu, la petite ville où j habite.
Le dossier Lissieu prend belle tournure et derrière mes volets fermés dans la capitale de la fournaise il ne me remonte pas trop le moral… 😉
La campagne n’a pas que des charmes, mais il y fait quand même plus frais.
Ce texte est plaisant à lire, juste et intéressant. Il y a cependant çà et là un ton un peu moralisateur qui me gêne un peu. C’est une question que je n’arrive pas toujours à résoudre : comment dénoncer sans faire la morale ?