Les sirènes. Tous les soirs à la même heure. À force on reconnaissait le bruit de leurs moteurs. On devenait spécialistes. Il y en avait qui descendaient avec thermos et gâteaux à partager – d’autres qui avaient donné leur bain aux enfants et les enroulaient dans des couvertures. Certains descendaient avec des lampes frontales et un bouquin sous le bras. D’autres tremblotaient. De peur que l’ascenseur ne fonctionne plus les vieux des hauts étages commençaient à descendre cinq minutes avant l’heure prévue. Les premiers soirs ils racontaient leurs souvenirs de 1941 et personne n’avait envie d’entendre ça. Je ne peux pas dire qu’on avait peur. La peur s’accommode mal de l’habitude. On était résignés. Voilà : résignés. Quand la sirène retentissait on prenait nos livres et nos tricots, notre sac de papiers importants, des paquets de gâteaux secs, on fermait la porte derrière nous et on descendait à la cave. J’entends encore l’immeuble silencieux qui soudain s’anime, les portes qui claquent, les voix des enfants dans la cage d’escalier. Nous, au rez-de-chaussée, on aurait pu descendre en premier mais on préférait attendre les amis du dessus. Un soir un voisin a dit : « Quelle belle procession ! » à voir tout ce petit monde descendre en file indienne à la cave. Cette cave je n’y étais jamais descendue (j’ai même été surprise, quand les bombardements ont commencé, d’apprendre que notre immeuble en avait une et qu’elle pourrait servir d’abri). Elle était grande, respirable, haute de plafond. On l’a aménagée de tapis et de bancs. Elle est devenue une salle commune, un lieu d’échanges. Ces nuits d’avril des voisins sont devenus des amis et, quand on y pense, voilà ce qui reste de cette année maudite.
fait froid dis-donc… (brrr) (à quelque chose malheur est bon, dit la doxa) (brrr quand même) (bonne continuation)