Carte de la Terre du Milieu, Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, telle que l’a conçue l’équipe du film de Peter Jackson. Objet collector vendu avec la version DVD longue du premier film (2001).
Je la garde toujours dans un petit boîtier en carton, sous cellophane, avec une attention fiévreuse, maladive, inquiète. La déplier me demande à chaque fois un certain effort (j’ai peur de l’user, de montrer que je l’ai utilisée plusieurs fois, de la voir disparaître qui sait !).
Dès lors, laissez-moi en profiter. Du bout des doigts. Du coin de l’œil. Voler quelques espaces. Se les approprier. Entrer dans la carte.
Quelle merveille ! Il ne manquerait que l’odeur – dommage, l’objet est artificiel (fan service oblige), mais il donne cette impression d’avoir vécu. On pourrait aisément imaginer Gandalf, avec ses gros doigts sales de voyageur, souffler sur la carte pour balayer la poussière. Redécouvrir cette écriture runique, elfique, mangée par l’humidité et les rats, qui orne les noms de chaque topos. Il faut imaginer le soin accordé à la calligraphie, bon Dieu ! Tout rend hommage à Sir Tolkien, lui qui, bien plus que ses œuvres publiées, aura consacré toute sa vie à la langue des elfes, Quenya ou Sindarin selon que le parler soit noble ou populaire. Ces fausses taches d’encre parsemant la feuille ; pattes d’oies se baladant sur cet artefact de vieux parchemin. Par-ce-chemin, elles entrent à leur tour.
Et les zones. Ici, le pays chaleureux des Hobbits, par là la dernière demeure des elfes des bois, plus loin la rugueuse région des Hommes, balayée par les vents, et sous la montagne, le monde des Nains cupides. Enfin, tout à l’est, le Mordor – déjà ce nom : « là où dort la mort », la terre noire, toujours prête à nous faucher, comme si les héros, à mesure de leur progression vers l’est, risquaient leur vie.
Je voyage avec cette carte, et mon sac à dos pèse de tout son poids. Bien sûr, le plaisir est décuplé si l’on connaît la quête de Frodo Baggins, de son oncle bien avant lui, ou de l’univers général qui se déploie dans toute sa minutie. Je la connais par cœur, cette carte, je pourrais la dessiner les yeux fermés (presque, allez, je triche), depuis ces cours d’eau – les Chutes de Rauros, l’Isen – jusqu’aux recoins cachés dans les reliefs montagneux ou les forêts – Carrock, le Col de Dol Guldur près de l’araignée géante, Fangorn et ses arbres enchantés, Minas Morgul, Gundabad, les Hauts de Galgal. Consonances exquises pour moi, que je savoure à prononcer à voix haute comme on laisse fondre une praline dans la bouche. Renvoi à tant d’images, de péripéties, de discussions entre personnages, de rencontres inattendues.
J’ai vécu avec cet univers ; je pense même sans doute en avoir fait partie. Un peu de mon âme réside peut-être encore quelque part à l’intérieur de cette carte.
Inclinons-la, pour voir.
Beau voyage. J’ai moi aussi parcouru des Terres du Milieu, pas avec les yeux mais avec les oreilles. Mon fils, enfant et ado, me racontait. M’enivrait. M’épuisait. Mais me faisait voyager. Merci pour ce texte.