J’imaginais d’abord explorer une terra incognita, un point minuscule du globe. Je suivais mon inclination toute personnelle pour échapper à la canicule vers un nord hypothétique. Sur Google Maps où toutes surfaces sont visibles d’un effleurement de l’index, je regardais cette bande immense entre deux mers dont j’ignorais tout. Avec le système de projection cartographique j’évaluais cette bande pouvant parcourir aisément toute la côte ouest de l’Afrique du Maroc à la Guinée. En réalité la surface exacte s’avérait être celle du Portugal ou de la Guyane française. Sur le soixantième méridien est, la Nouvelle-Zemble, Nouvelle terre en russe, n’évoquait aucun archipel connu entre une mer de Kara dont je ne savais rien, et la mer de Barents qui me renvoyait à quelques bribes de lecture d’exploration des Pôles. Je grossissais la carte muette, et relevais une toponymie exotique l’île Severnyj, le détroit de Matochkine, l’île de Južnyj. Le calque satellite m’indiquait son relief. Je cherchais ailleurs sur le moteur de recherche. Une carte circumpolaire découpait par zone l’estimation de population en mer de Kara et en mer de Barents d’ours blancs ; la légende notait un point d’interrogation des données insuffisantes. Une autre carte très fournie montrait les emplacements des essais nucléaires, deux cent vingt-quatre (davantage que tous les essais nucléaires français), et les zones de stockage des milliers de conteneurs de déchets radioactifs. Ailleurs matérialisés par des cercles de différents diamètres, la localisation des populations des deux îles, deux milles personnes. Je ne voulais rien en savoir de plus, j’abandonnais l’exploration.
En d’autres temps sur une carte imaginaire j’aurais fait apparaître les terres des Grands Périls, les régions de Funeste-sur-Folie, d’Instable-sur-Urgence, de Mortel-sur-Effroyable et à droite toujours ce même grand Lac d’Indiference.
Je dressais une carte heuristique, aux frontières de mes fatigues, mes exaspérations sur des images satellites. Tentative d’épuisement de tout ce qui me met en colère, ficher mes crises, les regrouper dans un atlas de mes désastres. Voir apparaître de nouveaux îlots de peurs. Mais on ne se connaît pas si bien. Il aurait fallu soumettre mes relevés à un complice pour valider toutes ces données. La mission de reconnaissance vers mon inconscient inexploré résistait, jouant d’une tectonique qui me distançait toujours plus d’un Cipango ou d’une des sept cités de Cibola.
Je pense aux Voyages insensés de Gologanov, que je n’en finis pas de finir. Mais j’aime particulièrement ta carte du rude du dernier paragraphe. L’atlas de mes désastres… Il y a bien des années dans un moment de grande précarité, j’avais dessiné un petit livre pour mon conjoint de l’époque, où je me représentais sous la forme d’un lion et lui de Saint Jérôme et dont le titre était INQUIÉTUDES = PHOBIES. Ça fait été un grand soulagement.