Elle est partie sur le terrain. Il montre la carte épinglée sur le mur. Une zone délimitée en rose. Lui, c’est un ami de la famille, photojournaliste, motard, boiteux. Elle, c’est une jeune femme qu’on avait croisée chez lui quelques jours plus tôt. Le terrain, c’est la Yougoslavie. Je ne me souviens pas du reste de la conversation. Juste d’une atmosphère, de mots paravents, de non-dits à mes jeunes oreilles. Une épaisseur dans les silences.
Elle a pris une balle dans la tête. Une balle dans la tête. Une balle dans la tête. Là dans la zone délimitée en rose. Dans cette zone où les lignes vont changer bientôt. Je n’avais pas encore conscience alors que c’était possible, la disparition d’un pays sur une carte. Malgré les cours d’histoire, malgré la Gaule, les Huns, les Wisigoths, malgré César et Astérix, l’Alsace et la Lorraine, les pays étaient inamovibles, ils avaient la certitude de la ligne tracée, de leur affichage au mur des écoles. Des territoires découpés en suivant les reliefs, les rivières, les côtes, dans la terre et l’espace, mais non dans le temps et l’histoire.
Et la Yougoslavie a disparu. Une balle dans la tête.
Longtemps, j’ai scruté cette zone délimitée en rose, ce nom Yougoslavie, sur une carte erronée restée accrochée chez mes parents, dans les toilettes. Longtemps j’ai pensé à elle, que je n’avais croisée qu’une fois, elle qui a pris une balle dans la tête dans un pays qui n’est plus. Elle a pris une balle dans la tête en Yougoslavie. Aujourd’hui ce n’est plus nulle part. Aujourd’hui, on ne peut plus savoir où.
On l’a déjà oubliée celle-ci et pourtant… elle a recommencé ailleurs… la paix a pris plusieurs balles dans son entêtement à vouloir réconcilier les gens, les langues, les histoires. Je suis contente que vous rejoigniez les #40 jours , je prendrai le temps de vous lire. Parlez nous de l’Aubrac, montrez-nous le avec votre regard, c’est une destination possible pour les gens des villes où le passé n’est peut-être pas complètement effacé. Merci pour cette approche du drame des Balkans.
Merci Marie-Thérèse. Je n’avais plus pensé à la Yougoslavie depuis bien longtemps. je ne sais si j’écrirai sur l’Aubrac, où je ne vis que depuis peu. Les remontée viennent de plus loin dans mon écriture d’aujourd’hui.. A vrai dire vous avez déjà commencé à me lire puisque j’ai changé de nom entre temps (Hell Gosse). J’écris lentement, j’arrache le temps pour suivre de loin mais j’y prends grand plaisir. Je viendrai vous lire bien sûr.
Merci Hélène pour ce texte dur qui rappelle l’horreur et l’injustice de la guerre.
J’ai regardé dans la liste des auteurs mais je ne te trouve pas.
Il faudrait si tu le souhaites demander à François qu’il t’ajoute. Comme ça on pourrait facilement retrouver tes écrits.
Merci Fil, tu m’avais déjà trouvée mais j’ai changé de nom
Très ému par ce texte si précis, si dur. La phrase de conclusion me restera longtemps en tête : « Aujourd’hui, on ne peut plus savoir où. » Merci
La carte. C’est la carte qui a soulevé ce souvenir. Et je suis heureuse de raviver aujourd’hui cette femme, de penser de nouveau à elle… et à tant d’autres.