Ils me mettrons en terre, à reculons. Erreur monumentale, Orphée leur apprendra… Je ne leur en veux pas. C’est ainsi. Il s’agira d’être courageux. Se laisser descendre dans la caisse de sapin capitonnée de blanc et pourtant déjà sombre. Le doux balancier au bout des bras familiers où palpite la vie. Puis les bruits inquiétants: Le frottement d’abord des cordes qui coulissent. Juste après le choc sourd du sol derrière mon dos. Alors il s’agira de faire mes adieux au rectangle de nuages. La terre deviendra tout à la fois mon ciel, mon horizon, et mon soleil . Il s’agira de ne pas trop s’attarder sur les visages de tous ceux qui penchés sur le trou ruisselleront de larme. Il faudra accueillir la terre humide et lourde qui s’écrase en étoile dans un fracas de sourd. Je resterai ainsi tout un jour et toute une nuit. Il s’agira, pour entreprendre ce voyage de s’y acclimater. On ne passe pas d’un élément à un autre sans y laisser de soi. La descente n’est pas moins ardue que l’ascension et le mal qui nous guette sur les plus hautes cimes est en tout point semblable à celui des abîmes . Brève révolution qui me laissera tout juste le temps de m’habituer à l’humidité. Elle pénétrera la caisse de sapin, imbibera le beau satin blanc qu’ils auront mis sur le capitonnage le tâchant de disgracieuses flaques jaunâtres. Puis elle infiltrera mon costume Renforçant dans la petite bulle d’air ou je reposerai l’odeur de naphtaline mêlée a celle de l’humus et des moisissures. Quand viendra le deuxième crépuscule, je me sentirai prêt. Je gratterai de mes ongles la paroi de sapin, déchirant le satin. La terre finira de me recouvrir, elle viendra se coller sur mes cornées, noircir mes dents. S’amonceler sur la tache verdâtre de mon ventre , la perçant peut être même pour se glisser entre mes viscères. J’avalerai la terre à grande bouchées. Elle me remplira. Mes poumons se feront les hôtes de quelques lombrics ou hannetons . Il s’agira de ne pas avoir peur. De ne pas paniquer. On ne peut garder l’air sur une si longue apnée. Vide et creux mon thorax serait broyé par le poids titanesque. Je remonterai inexorablement vers la surface exhibant mon corps difforme et gonflé. Ainsi lesté de terre je ne craindrais plus rien. Il faudra alors se mettre en route progressant lentement en battant des deux bras, mes mains en forme de pelle creusant la terre meuble. Le chemin à suivre descend toujours plus bas, sans possibilité de retour en arrière. Au début les racines des arbres me guideront. Ils me rassureront. Ils ont l’habitude. Sagesse séculaire. Je distinguerai encore une faible lumière clignotante témoin que le monde du dessus existe encore. Ce n’est que lorsque j’aurais progressé ainsi de plusieurs mètres que la véritable métamorphose débutera. Je ferai mes adieux aux racines bienveillantes. Je prononcerai le voeux de renoncer à la lumière. Alors il me faudra faire le deuil du monde organique pour pénétrer dans celui du minéral. Cela ne sera pas évident. Il s’agira de garder la tête froide, de ne pas paniquer. Il ne me restera alors que très peu d’indices pour m’orienter dans cette immensité noire. Mes sens atrophiés me feront défaut. Mes yeux aveugles à là pupille recouverte d’une membrane laiteuse ( commune aux poissons nageant dans les abysses ) devront résister à la tentation de m’entraîner en direction de la lueur vacillante filtrant encore faiblement au travers des strates millénaires. Ma peau constellée de cloque humides et de moisissures sera ma boussole m’indiquant après le froid mordant la chaleur du noyau central. Il me faudra sucer des cailloux dans ma bouche édenté. Et laisser sur mes pas ceux au goût de mousse et de lichen pour m’aventurer dans l’acidité du calcaire. Le chemin sera long et dangereux. Des cavités inconnues aux formes effrayantes m’attendrons sur la route Dans leur ventre vide, ricochent les écho des rires des chimères et des hurlements puant des gazs à l’odeur de souffre. Il s’agira de ne pas m’y attarder. J’abandonnerai en route mes vêtements déchirés en lambeaux par la terre de en plus dense. A l’instant où mon annulaire sera sectionné sur une arrête de schiste où mon alliance restera coincée. A cet instant précis j’oublierai qui je suis et d’où je viens. J’avancerai ainsi libéré de ce fardeau avec beaucoup plus d’aisance me délestant sans regret des lambeaux de mes chairs et de la poussière de mes os.Toujours plus profond, vers le but du voyage, quand enfin, elle m’apparaîtra. Je franchirai sans hésitation les immenses portes de jade. Et dans ce sanctuaire reprendrai forme humaine. Mon corps aura la beauté des statues antiques. Je foulerai d’un pied assuré le sol chaud de l’immense cathédrale Et gagnerai le chœur le front levé vers les voûtes majestueuses de quartz rosé aux vitraux d’hamethyste. Alors je m’étendrai sur un lit de diamants. Puis je m’endormirai bercé par le roulis de la Terre. Dans le sommeil sans rêve du voyageur harassé.