On y vient soit par nécessité soit par erreur. De loin, cela ressemble à un établissement thermal, mais sur le gazon devant l’entrée, il y a un bloc de pierres avec une inscription qui illumine « Un avenir fait de beaucoup de passés ». Les portes en verre s’ouvrent automatiquement au passage de ceux qui franchissent le seuil. Un grand hall garni d’azulejos art nouveau, le poste du portier qui vérifie sans le faire vraiment les entrées et les sorties, un tableau noir, faisant allusion à ces passés dont on doit se nourrir, des portes donnant sur des petits cabinets multifonctionnels, selon l’époque. Cabinet du médecin ou de l’infirmier, salles d’expositions tournantes montrant les produits des clients. Symétrie parfaite, on tourne les yeux vers la droite et on découvre pareil sur la gauche, sauf la cabine du concierge. On se sent pris au piège dans ce tourne en rond, on voudrait se débarrasser de ce regard symétrique qui découvre la même chose de chaque côté, deux longs couloirs avec au bout de larges escaliers en bois martyrisés par des va et vient dérisoires. Le regard avide de dissonances avance encore, traverse maintenant l’espace dallé qu’une verrière embrase, un jardin d’hiver à gauche, la porte qui débouche sur le grand réfectoire résonant, puis les escaliers doubles pour aller au premier étage, au centre l’entrée vers ce qu’ils appellent le salon noble, on rebondit sur le côté droit avec un autre jardin d’hiver ou jardin clos, où chacun vient se plaindre de la misère humaine. A quoi bon aller plus loin ou plus haut ? Mieux vaut, avant qu’il ne soit trop tard, avant d’être pris au piège dans les couloirs gris du premier étage aux portes multiples et semblables, mieux vaut, dis-je, rebrousser chemin, dire au revoir avec un grand sourire au concierge qui s’en fout, et embrasser du regard et de toutes nos forces tout l’espace, que du bout des doigts, on peut ne plus atteindre.
(oui, il vaut mieux s’en aller – tout le monde peut se tromper – il y a là du « Soudain l’été dernier », augmenté d’un peu de « Shock Corridor ») (bizarre comme il peut faire froid, même sous le soleil hein) (merci à toi)
C’est vrai? Cela donne cette impression? C’est fou comme on est dans le noir quand on écrit! Merci !
Chère Helena l’inquiétante étrangeté ( des escaliers martyrisés) de ces portes (en symétrie). Toujours dans tes textes des images qui remuent. Et soudain je pense à Reverdy. J’aime toujours ton regard sur les choses
Merci, chère Nathalie. Et moi j’adore tes textes ! Ton receuil de nouvelles est merveilleux. Mais je t’en parlerai par mail les prochains jours.
Quelle étrange vue circulaire dans un grand lieu qui ne l’est pas moins !
Merci pour toutes ces belles évocations, Helena !
Merci, Fil !
je ne sais pas où nous sommes, à la fois je redoute et ai envie d’y être, c’est surprenant, comme d’une maléfique beauté
Maléfique beauté est l’expression juste qui s’applique au lieu que je décris, l’école où je travaille. Merci !