Soyons clair: une caméra, c’est une caméra. Qu’elle soit en bois avec une manivelle comme celle qu’utilise en 1929 Mikhaïl Kaufman pour le film de son frère Dziga Vertov ou remplie de programmes et miniaturisée à l’extrême comme le tout dernier modèle des action cam, ne change rien. Ni au langage que les images peuvent être et produire. Ni aux fondamentaux qui cadrent ce que peut être le mouvement d’une caméra.
Les mouvements mécaniques possibles d’une caméra sont limités à deux cas et deux cas seulement : soit le support ou l’axe de la caméra est fixe (panoramique vertical ou horizontal), soit le support ou l’axe de la caméra est lui même en mouvement (traveling avant, latéral ou arrière, horizontal ou vertical).
Fin des années 70. Dans les off du festival de Cannes, projections de productions underground nord-américaines. Le support, l’axe de la caméra est fixe, à ce détail prés qu’il s’agit d’un puissant tourniquet d’arrosage automatique. A l’écran donc un panoramique saccadé hyper-rapide, de gauche à droite, de droite à gauche, de gauche à droite, de droite à gauche, de gauche à droite, de droite à gauche…durant toute la durée du film. Le seul son est acousmatique : le bruit du jet d’eau qui arrose la pelouse d’un campus de la côte ouest. Avec le recul du temps et quelques années de pratique à l’épaule avec des caméscopes dont les premières versions pesaient 13 kilos (Betacam-Sony ou Thomson-1985), je n’ai aucune envie d’introduire une Go Pro dans ma tête pour aller farfouiller dans la cuisine de mon enfance, retrouver la pièce unique où nous dormions ou les chiottes dans la « salle de bain » qui n’avait pas de douche. La caméra ou le divan. J’ai comme un blocage. C’est pas de la mauvaise volonté. Mais, non ! C’est un peu comme la valise ou le cercueil. J’aime pas : trop binaire à mon goût . Je dis non. Et puis, filmer c’est pas obligé. Écrire, non plus. On peut regarder, contempler, vivre l’herbe, l’oiseau, la mer, Elle, son visage, ses mains, ses yeux, et la mer encore, l’herbe, l’oiseau. Et encore, encore, encore…
Oui, c’est la question que je me pose sans y répondre aussi radicalement. Pourquoi vouloir voir ce qui est dans notre dos, sous nos pas ou au dessus de nos têtes ou hors de nos champs de vision habituels, si nous n’en faisons rien d’utile et surtout sans personnages vivants. « Paysage avec figures absentes » dans le logiciel de l’agent immobilier. La visite virtuelle est comme un mirage séducteur ou repoussoir. La question de l’intimité et du seuil pour la pulsion scopique se pose à nouveau, comme pour la façade. Qu’est-ce qu’on veut savoir finalement ? Qu’est-ce que la quête frénétique immersive dans le paysage a à voir avec la contemplation. La contemplation est-elle compatible avec un inventaire. Et veut-on toujours raconter une histoire lorsqu’on filme à 380 ° ? Je n’ai pas les réponses bien sûr. https://www.rts.ch/play/embed?urn=urn:rts:video:3992144&subdivisions=false#
« on peut aussi ne pas écrire, oublier une mouche »
(ça n’a pas vraiment de rapport, mais en 78 (j’y travaille…) du 16 au 30 mai, l’édition de festival de Cannes (pour info) jury présidé par Alan J. Pakula (avec Liv Ullmann entre autres au jury) a donné la palme à l’unanimité et à « L’arbre aux sabots » (zeugme)(une merveille réalisée par le bergamasque Ermanno Olmi) (on peut aussi combiner le pano et le traveling etc. voir Max Ophüls, Martine Carol en Lola Montès) (en vrai et au fond t’as raison, mais on travaille quand même) (amicalement à toi)
Tout un art de l' »irritation » un rien Bernhardienne de Thomas, pas de Sarah (et pourquoi pas) non de Ugo P. J’aime bien imaginer ce panoramique saccadé de gauche à droite de droite à gauche ( bientôt le deuxième tour des élections) . Et ne pas dire ( imaginer, filmer) ne pas comme et dire un peu, quand même, entre les non et dans les blancs. Vive l’irritation! et rêver à ras d’herbe sans valise…
Merci Marie-Thérèse, Philippe, Piero, Nathalie de vos regards.
Et merci pour Jaccottet.
Et merci pour Thomas Bernhard.
L’irritation, c’est la vie. Il le dit bien ici:
http://oeuvresouvertes.net/spip.php?article3938
sourire au codicille précédent
ici dire OK (et puis bien dit)