Après avoir fait le tour de la maison, je trouvais une fenêtre mal fermée. Je poussais de tout mon poids et atterrissais à quatre pattes sur la table de la cuisine de ma grand-mère. Les mains sur les carreaux bruns, dont les jointures noircies par le temps, collaient un peu. Je me rattrapais à une pile de journaux Sud-Ouest qui glissa de la table, tombant un par un sur le sol. A côté, la panière à fruits, juste à l’endroit où s’immisçaient par la fenêtre, les rayons du soleil. C’est comme ça que ma grand-mère faisait mûrir les prunes encore vertes.
D’un regard circulaire, je scannais les lieux, rituel de mon enfance, comme dans un jeu des sept différences, à la recherche d’un élément neuf dans ce décor immuable. A gauche, le placard coulissant cachant, balais, brosses et seaux d’un côté, bocaux et épices de l’autre. A droite l’évier de faïence, au long robinet métallique, savon de Marseille et bouteille de Pec citron, en équilibre sur le rebord, à côté de la vaisselle qui sèchait. Plus loin, le couloir qui menait au salon et son odeur piquante de meubles cirés.
Je voyais tout à fait ma grand-mère prête à surgir par la porte, sabots aux pieds, une botte de carottes dans ses mains noires de terre, les plongeant dans l’eau bouillante; ramenant du jardin, le parfum de la rosée mêlée à celui de la soupe naissante, pendant que je buvais mon chocolat au lait.
Le téléphone retentit. Une sonnerie familière et entêtante, qui emplissait toute la pièce, des carreaux ovales imitation marbre du sol aux plafond à poutres sombres. Je ne pouvais pas décrocher, après tout, je n’étais pas censée être là, mais je m’approchais quand même du récepteur. Sur l’écran qui avait été moderne dans les années 90, les photos de ses enfants dont les numéros étaient préenregistrés: mon oncle, ma tante et mon père. La sonnerie repris à peine s’était-elle éteinte, je saisis le combiné, étirant les boucles de son récepteur, mais ne disais mot. A l’autre bout du fil, ma mère demandait: »c’est toi? ».
Quelle caméra virevoltante qui s’assagit peu à peu pour devenir mystérieuse !
Quel beau texte !
Merci Irène.
Merci Fil, je ne savais pas si j’avais réussi à échapper à Balzac.
Oui, c’est beau. Très intérieur. Intime, presque. Et ça a la douceur des souvenirs. Merci.
Merci JLuc, de ton passage par ici, très touchée par tes mots.
très beau oui ! je comprends mieux la consigne grâce à la lecture de votre texte ! merci