#40 jours #02 | Vis-à-vis

Son nom laisse une brise passer. Je l’ai abordé en suivant le Lez, timide cours d’eau canalisé qui offre quelques berges spacieuses aménagées en espaces de promenade à ses pieds. Deux jeunes hommes, dos rond, coudes posés sur les genoux, discutaient assis sur le dossier d’un banc public en ciment. Quelques bouleaux nus attendaient le printemps pour feuillir, se nimber de chatons, préparer l’envoi des samares dans le souffle de la Tramontane. La pellicule d’écorce des troncs reflétait la lumière éclatante de ce matin de février. Derrière eux, en surplomb sur la cime d’un bosquet de pins : les branches de l’arbre blanc. Des planchers de terrasses et des pergolas en rotation et décalages les uns par rapport aux autres abondent autour de la colonne centrale. Balcons et ombrières se hérissent du fut central parsemé de fenêtres. Sur chacune des branches, les habitant ont installé leur mobilier de jardin : chaise en rotin, table de jardin, chilienne, transat, abrités par une ombrière de métal blanc. Un jeu d’escalier dessine une circulation entre terrasses. Sou Fujimoto construit pour vivre dehors, installer de nouvelles relations entre les habitants. Ce jour d’hiver, je n’ai vu personne ni dehors, ni dedans – chacun des résidents était probablement au travail. J’ai imaginé les habitants dans cet arbre de lumière. Il matérialise une ville invisible imaginée par Italo Calvino. C’est un rêve d’enfant. Est-ce avec lui que les habitants s’installent ? Vraisemblablement pas. L’image fond vite. Socialement, il prend l’allure d’un cristal d’apparat.

Quelques cartes postales anciennes accrochées au mur dans la véranda rappelaient le passé ouvrier du quartier. Les travailleurs du charbon logeaient dans les maisons de la rue en pente. Le quartier tient son nom de la place où convergent plusieurs boulevards de ceinture.C’est la première place en France à porter le nom de l’écrivain Émile Zola en 1902. Les voisins de la maison se sont appelés Eugène et Roger. Chacun ouvrier à la retraite vivait seul. Après eux, les voisons n’avaient plus de noms. Le quartier basculait, s’enrichissait et installait progressivement désintérêt et indifférence, plus ou moins volontaire. Le mythe de sa population ouvrière tenait dur, isolait. Nimbait le présent d’un mélange de retrait nostalgique et de déception. De la véranda, aménagée sur une ancienne terrasse, dans le goût sobre mais élégant de ce couple de « baby boomer », on apercevait les baies vitrées d’un petit collectif de HLM appelée la « ville en brique ». Cette architecture des années 80 colorée d’ardoises, de briques et de montants de fenêtres aluminium carmin a toujours reçu la faveur de la part des habitants de cette maison individuelle avec laquelle le HLM cohabitait en vis-à-vis. Si les nouveaux voisins indifféraient, la ville-en-brique tenait lieu d’un espoir possible. L’amitié nourrie de loin envers un habitant le temps d’une cigarette, d’un arrosage de plantes, d’un apéritif. En soirée l’hiver avant que les rideaux ne soient fermés. Le projet de construction d’une piscine, dans le jardin, en face du HLM, par les nouveaux propriétaires a définitivement enterré la survivance du front commun fait de vis-à-vis favorables.

A propos de Nolwenn Euzen

blog le carnet des ateliers amatrice de randonnée (pédestre et cycliste) et d'écriture, j'ai proposé des séjours d'écriture croisant la marche et l'écriture, et des ateliers deux livres papiers et un au format numérique "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue revues La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune...