#40jours #02 | si j’y pense, il est 19h30.

Nîmes

Novembre 1993

Combien d’étages là ?

Depuis le 8ème d’en face, on en voit vers le bas et vers le haut. Pas l’énergie de compter. On commencerait par où, au rez-de-chaussée, y a-t-il des habitations ? des barreaux oui. Des barreaux vers la rue, des barreaux vers l’espace bordé de trottoir, parterre piétiné d’herbe rance.

Il est 19h30 peut-être, par là. Si j’y pense il est 19h30. Au deuxième le lourd rideau, blanc cassé aux lignes verticales nervurées, vient de frémir. Quelqu’un est passé, son déplacement a fait vibrer l’air. Le chien, petit, blanc, un bichon, est allé au pied du fauteuil, s’asseoir. Dans le fauteuil marron, tourné vers l’intérieur du salon, en diagonale, un homme est assis, bien au fond, ses lèvres bougent. Sa tête est légèrement tendue en arrière pour faire porter la voix. Au plafond, le lustre en osier diffuse une lumière jaune. Dans la cuisine, à droite, lumière blanche, allées et venues, rapides. Une femme prend un objet dans un placard, elle est en extension pour atteindre l’étagère d’en haut – un paquet de farine – attrape un autre objet plus petit devant elle – la salière. Elle est tournée de profil, baisse la tête, sort le poisson de l’emballage du supermarché, elle l’a pris au rayon poissonnerie, sur l’étalage où sont couchés les poissons sur la glace pilée, où l’eau goutte dans un seau rouge calé en dessous de l’angle gauche de la table inclinée. Elle a pris du lieu, parsème une assiette de farine. Son front arrive au niveau de l’arrête basse des placards. L’eau coule dans l’évier.

Deux étages au-dessus, trois fenêtres à gauche, il est 19h30. Si j’y pense, il est 19h30. Une femme vient de s’asseoir dans son canapé devant la télévision, la lumière bleue baigne les bibelots posés sur la table basse. Toujours au même endroit, orientés de la même manière les bibelots. Une coupe de fruits en porcelaine, avec quelques pommes, une orange et une banane. Une cerise sur le dessus pour la touche rouge. Un chat couché en porcelaine, la tête relevée comme en alerte. Elle lance un petit son, un gazouillis qui sort de ses lèvres pincées. Un chat noir surgit du couloir et grimpe sur ses genoux. Dans la deuxième chambre – dernière porte à droite – une adolescente, cheveux longs jusqu’au milieu du dos, voûtée d’être grande, la mèche devant les yeux, est assise sur son lit. Elle lit, écouteurs de walkman sur les oreilles. Dans la cuisine de la vapeur s’échappe d’une casserole.

Il est 19h30. Si j’y pense, il est 19h30. Tout en bas, au premier, deux enfants, trois et quatre ans passent en courant, passent en criant dans le couloir. L’un d’eux a piqué la petite voiture de l’autre. Sur le carrelage leurs petits pieds nus font un son aigu de galop. La mère a les mains pleines de mousse dans les cheveux du troisième, qui est assis dans la baignoire au milieu des jouets jaunes, bleus, verts, roses. Dans le salon, la télévision sursaute d’images en images. Le père est derrière la porte. Hésitant.

Sur le perron du 4ème, il est autour de 19h30. Si j’y pense il est 19h30. Une dame est penchée sur son paillasson. La porte de son appartement est ouverte sur un couloir et tout au fond sur une deuxième porte ouverte sur les toilettes. La cuvette est bleu foncé, le carrelage qui s’arrête à mi-hauteur aussi. Dans l’entrée, un guéridon, où repose un napperon en dentelle où repose un vase où repose un bouquet sec. Au-dessus un miroir oblong à dorure. La dame est penchée juste là, à la frontière entre l’intérieur et l’extérieur de son espace. Elle vient de finir de brosser son paillasson et se dirige, chiffon en main, vers les marches qui mènent au 5ème.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.

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