Assise sur le balcon, j’imagine. Il a cinq étages et trois entrées. Je l’ai désossé combien de fois, à force d’y voir entrer et sortir les gens toute la journée, j’y ai imaginé des pièces entières pleines de leur vie. À raison de quatre appartements de cinq pièces par palier, cela fait déjà vingt, fois trois entrées fois cinq étages, environ trois cents pièces. Si j’empile les tables les armoires les lits les bibliothèques les canapés les cuisinières et frigidaires, congélateurs bureaux lampes chaises fauteuils à repose-pied électriques et fauteuils à roulette tables de nuit chaises lits médicalisés aquariums machines à laver à hublot ou sans, ça commence à faire haut. J’ai dû en oublier, j’ajoute toute la quincaillerie, c’est-à-dire aussi bien bouts de ficelle vaisselle casseroles outils livres crayons, les poissons rouges couvertures ustensiles laine rouleaux en carton de papier hygiénique, ça peut toujours servir, le contenu de tous les tiroirs, vis écrous clous épingles balle de ping-pong, j’en oublie encore. Je ferai plus tard la liste de tous les matériaux communs ou vraiment spéciaux qui ont fabriqué ces objets. Je voudrais ajouter la liste de tous les noms propres de ces gens, et répertorier la liste de prénoms, vingt Michel trente Guy trente Mohamed quarante Brigitte dix Gabriel vingt-cinq Soizic, autant d’Alban Samles Myriam Léa Gabin Nahil Oriana Kelly Salim AdamThimothé Jessim Sofia Wissem Emma et d’autres encore que je ne connais pas. Je me rappelle l’étonnement enfant, de revoir chez la copine la même entrée, même cuisine, couloir chambre, salle de bains. J’ai passé des heures à voir inventer ou deviner ce qui se passe derrière ces fenêtres que je désosse une par une. J’enlève ce mur qui me gêne, de haut en bas, et j’y rêve un immeuble cosmopolite où tout se passerait dans une vraie vie qu’on ne connaît pas encore ou si peu, parfois. Je viens de penser, dans ce monde de mouvements de bouleversements de changements, c’est curieux dans ces trois cents pièces le nombre de valises rangées dans les placards ou souvent sous les lits, certaines ouvertes qu’on commence à remplir…
beau texte Simone. (le vide mode d’emploi ): empilements, listes, valises… et le rêve qui défie l’inquiétude
Merci, Nathalie. Ta propre lecture me fait relire mon texte. Merci infiniment.