Si j’enlève une à une les pores de ta peau, ô mon immeuble, j’y vois l’œuvre des trente mille salopards. Attaques sournoises. Récupération. Prédation crue. Les travaux coûteront trop cher, il vaut mieux laisser croître la fissure, l’auréole brune sur le mur, goutter l’eau du cumulus, le long du mur et du plancher, du seuil jusqu’aux escaliers de chaque étage, et puis manquer d’eau après, ne plus avoir – de quoi se laver. Les dégradations, dégradations démultipliées, avec tous ces soucis, soucis démultipliés, soucis d’étanchéité. Tout court à notre perte, et nous haïssons le sang-froid des prédateurs. Animaux dégueulis, ô leur poussière infâme. Le radiateur ne marche plus dans la chambre du troisième. On achète des couettes et des couettes, pour ralentir la pulsation de l’eau sur la joue. Je ne t’aime plus ô mon immeuble. Le digicode a déconné, on entre ici comme en moulin, les démarcheurs ou des chiens fous, glissent contre les portes, n’ont pas assez mangé – errent dans les couloirs. On ne t’aime plus, et puis pourtant, on fait pousser des arbres en intérieur comme si toutes les plantes ensemble, ça colmaterait les brèches, ça ferait du rouge à la tomate dans nos dedans, on respirerait comme en Terre neuve, dans une cour intérieure, même si rien n’était prévu : le courant d’ciel ne passe pas. Je hais ma ville, tu te déboîtes, on crache un coup, on se trimbale. Paris c’est mieux, dans le cinquième, on se délecte en regardant les belles façades. Un beau moulin s’y réverbère. On compte grosso modo. Le prix du dormir pour chacun qui vit là, les oreilles dans les feuilles, le tout à l’égout. Un visage entier de vert, tu croirais même pas ça cette compagnie. Une forme de lumière issue des routes, des trottoirs, un parterre chaleureux, quelque chose d’insondable, comme si à l’intérieur, on y voyait des stations à musique, un studio d’enregistrement, un cours de danse moderne – tout un réseau de petites routes de campagne.
Insulter, conspuer un immeuble, sa facade comprise, face à face , sans concession ! Espérer finalement qu’une jungle l’engloutisse, fasse disparaître ses parasites ou ses habitants. Bien des immeubles des années 50 auraient mérité ce coup de colère; les promoteurs, pas cons, les auront implosés avant le scandale. Il arrive qu’ils n’aient pas eu ce courage. Je pense aux quartiers de Marseille et aux drames qui s’y sont déroulés, ce n’étaient pas pourtant des immeubles d’après-guerre à ma connaissance. Merci pour ce texte qui parle d’une urbanité défectueuse et tueuse prise à bras le coeur d’une habitante, fictive ou réaliste.
Merci tellement Marie-Thérèse… j’aime beaucoup la force et le rythme de vos textes, leur comme un courage
Françoise, je te renvoie la pareille : ton texte est superbe !
J’aime beaucoup cette bataille à la vie à la mort tout contre l’immeuble et ses lézardes.
Bravo pour ton style sans compromis !
Fil the drummer
comme le Vander de Magma
l’énergie à vous lire !!!