Lundi 22 avril 1963 à dix heures, rue V. Hirtuelle au 42, un immeuble bourgeois du début du XXème siècle sur trois niveaux, six appartements répartis de part et d’autre d’un escalier monumental qui n’apparait pas en façade. De ce côté de l’immeuble, aucune cuisine, aucune salle de bains, aucune toilette. En D3 le facteur distribue le courrier dans les boites aux lettres en bois ciré du sas d’entrée et madame V. attend debout sur les quelques marches en pierre qui mènent dans le ventre de l’immeuble derrière la double porte aux vitres dépolies, elle se tient bien droite dans son tablier noir à pois violets, les cheveux blancs tirés soigneusement en un chignon parfait ; en C3 les deux lits gigognes de la chambre des enfants, sont impeccablement bordés, et aucun jouet ne traine sur le tapis gris à bordure rouge grenat, tout est rangé dans deux coffres identiques au pied de chaque lit et dans deux secrétaires également identiques à la tête des lits, l’austérité de la chambre est adoucie par la couleur vert amande des murs et par la présence d’un gros chat tigré lové sur un des deux lits; en B3 une autre chambre avec un seul lit, défait, un bureau encombré de livres, de cahiers, et d’une collection impressionnante de pin’s, une penderie en pagaïe et sur le tapis des baskets taille 43, des vêtements en tas et la revue salut les copains ouverte sur une photo de Frank Alamo, un adolescent sort de la chambre en claquant la porte ; en A3 qui fait l’angle de l’immeuble, madame R. passe l’aspirateur sous la grande table rectangulaire qui occupe la majeure partie de l’espace , les chaises à l’assise en velours bleu-canard sont relevées sur la table pour faciliter la tâche, la porte fenêtre donnant sur un balcon est grande ouverte, le poste de radio Grundig avec sa platine le surmontant est allumé ; au- dessus l’appartement A2 est inoccupé, les propriétaires ont jeté des draps blancs sur tous les meubles pour éviter l’accumulation de la poussière et les persiennes sont fermées ; en B2 un salon aux lourds fauteuils en cuir où monsieur T accorde le piano d’ébène tandis que madame T achève le ménage dans la chambre C2 ; en A1 le parquet bien ciré du bureau craque à chaque déplacement de la chaise sur laquelle est assis l’imposant monsieur X devant sa toute aussi imposante machine à écrire, et aussi son bureau en acajou, il s’éponge le front avec un grand mouchoir écossais en coton, il a fini d’écrire pour aujourd’hui, c’est l’heure de son premier petit verre de whisky ; en B1 sa mère, petite vieille toute flétrie, encore en robe de chambre, est engoncée dans un gros fauteuil Club d’où elle écoute l’adagio d’Albinoni, un 33 tours de musiques baroques …
merci. ce texte m’ a donné envie de prendre une feuille et de ranger les habitants chacun bien au chaud dans sa case – de bataille navale…
Je touchée de votre lecture… mais pas coulée
Merci