Derrière la palissade il y avait une école …
Elle se souvient :
Elle dit :
ce sont ces peaux de murs difficiles à décoller de leur chair que je regarde.
Elle a vu : les immeubles Mermoz-Nord résister désespérément , puis céder,aux coups de boutoir assenés par les gros engins de démolition. Cela ressemblait à une guerre qui viendrait après évacuation, Les habitant.e.s auraient été déplacé.e.s avec sommation et d’interminables négociations, certains y ont laissé les souvenirs de toute une vie ou leur peau, plus fragile que celle en ciment armé.
Elle n’a pas le cœur à écrire les vestiges de peinture de chaque pièce, les escaliers et les paliers démembrés de chaque niveau sur six à douze étages. Cela relève du plus délirant défi et même de la violation de domicile. Quand ça part en vrille un immeuble c’est que tout doit disparaître et que les jeux sont faits. À quoi bon reconstituer une scène familiale avec un bout de tapisserie ou l’éclat ripolin d’une cuisine moderne. C’était là, ce n’est plus là ! Ça pendouille encore pour quelques heures et ça se mélange avec l’eau à bouche brutale de gargouille des tuyaux qui font retomber la poussière à haute pression. On reste à distance mais on regarde quand même, presque étonnée, cette dissolution implacable et méthodique de l’image fracassée d’un morceau de bâtiment. Une image géante qui se déchire devant soi.
Il y a des commissions de délégués de quartier qui font l’intermédiaire entre les syndics, les élus municipaux, les maitres d’oeuvre et les gens. Un rôle ingrat, difficile, toutes les plaintes vont vers eux, ils sont assaillis de demandes et de récriminations.
-On est d’accord pour partir, mais on veut des ascenseurs… Ma voisine très âgée ne peut plus descendre de chez elle depuis plusieurs années, vous trouvez ça normal que personne ne s’en soucie ? Qu’est -ce qui nous garantit que ce ne sera pire après, et que les loyers ne vont pas augmenter ? Les normes thermiques, l’écologie tout çà, c’est bien, mais le porte-monnaie ne sera pas plus rempli. On a peur vous savez ?
J’arrête de prendre des photos. C’est trop triste de voir comment on traite le décor familier où vivaient les personnes les plus vulnérables, celles qui ne comprennent pas ce qu’on leur demande et que les voisins aident ou houspillent sans parvenir à les rassurer. Les assistant.e.s de service social, les médiations en tout genre interviennent.
-Il faut qu’elle dise oui, qu’elle signe la mamie…
-Ne vous en faites pas, vous allez recevoir un courrier et je vous expliquerai tout.
-Tout ?
…
J’aime comme tu te joues de la consigne pour traiter une vraie question de notre monde et de nos villes d’aujourd’hui!
Oui, le jeu dans l’écriture est aussi ce que je recherche.C’est une manière de déminer le réel, ou si tu préfères, de déminéraliser l’eau des chagrins de tout un chacun.e. Lorsque j’écris en prose, je fais un peu comme à l’oral, des digressions, des blagues pour ne pas rester dans le lourd, le pathos, qui nous cerne de toute part. Merci de ton message.Oui, je crois que je n’appliquerai jamais aucune consigne à la lettre.J’ai trop été embrigadée par les circonstances dans ma vie et je rue autant que je ris, facilement. Il faut juste éviter de se vexer en face. Dans ces cas, j’ai tendance à redoubler la dose, sinon je m’en vais sans me retourner. Mais je suis d’un naturel liant et le moins possible rancunier. Cela se travaille comme l’écriture je crois.
quelle belle idée que ce désossage d’immeuble imposé d’en haut. et ces photos de rêve placardées pour convaincre et faire oublier la violence des faits. Merci.
Effectivement, nous avons abordé ce deuxieme exercice avec une vision très proche ! Ravie de vous avoir lu et de vous lire encore.
Cette violence que tu racontes sous le kitsch des photos et des palissades, ça me touche beaucoup