Garage fermé au rez-de-chaussée. Dans la cage d’escalier, une suite de marches s’enroulant tel un serpent autour d’un poteau central ouvragé, probablement en chêne massif – il est toujours difficile de reconnaitre le bois de la rampe d’un escalier – Monsieur A, en tenue de sport pour son footing dominical, un petit sachet en papier dans une main, monte en tournant et retournant vers son quatrième étage où rien ne bouge encore, bien qu’une forme indéfinie, une rondeur, ait bougé sous un drap bleu ciel. En dessous, au troisième étage donc, on écoute déjà de la musique et l’on danse. Madame I. ancien mannequin, à en croire les couvertures de magazines néo-gothiques encadrées sur les murs, dans cette sorte de temple dédié à elle-même, Madame I esquisse quelques pas de danse de salon, les bras arrondis comme si elle tenait un partenaire. Un chat dort sur le canapé recouvert de fausse fourrure cramoisie, au fond une vieille lampe couleur bronze à petits pompons comme on en trouve dans les brocantes et c’est précisément ce à quoi ressemble cet intérieur, saturé de plantes vertes gourmandes d’engrais, à l’étalage d’un brocanteur, par exemple, ce curieux plat en céramique, une tête de faune dont les cornes sur les côtés forment deux poignées, et le bouton de la porte de l’armoire de gauche, un gros diamant jaune. De l’autre côté de l’armoire, la petite R. joue aux billes sous la table de la salle à manger. Deux cercles plus loin, Madame R sort de la cabine de douche et s’enveloppe dans une serviette en hurlant quelque chose, sa bouche se tord, tout son visage se tend, immobile, elle attend une réponse. Le plus grand des R. entre dans la salle à manger, donne un coup de pied dans les billes qui roulent dans tous les sens. En dessous, madame M lève les yeux, elle n’allumait que sa première cigarette de la journée. En robe de chambre, devant son café, les jambes croisées sous une minuscule table carrée d’une cuisine exiguë, une table qui serait parfaite dans un jardin, mais qui, ici, ne présente pas beaucoup d’intérêt, qui n’offre pas le bonheur d’être posée au milieu de chants d’oiseaux et ne constitue, ici, que le support sur lequel madame M. pose sa tasse de café et un cendrier, ce matin sous une pluie roulante de billes de verre, traversée d’un hurlement enfantin et geignard. Cependant comment pourrions-nous savoir ce que pense ou entend madame M. ? La bouche distordue et l’agitation des bras de la petite R, un hurlement donc, ou peut-être un « moman » hurlé, Madame R la tête enturbannée, une serviette de bain jusqu’au-dessus de la poitrine, serviette orange parfaite pour la plage – à noter le cadre au-dessus du buffet, un alignement de parasols devant la mer, il n’y a personne sur cette grande photo, mais madame R pourrait tout à fait s’y préparer pour un bain sortant d’une des petites cabines blanches du premier plan – madame R. au centre du champ de dispute entre le plus grand R et la petite R. Interruption. Qu’est-ce que tu regardes ? Rien. Madame R, donc, lève un doigt et donne de fermes instructions en l’agitant puis se tient le poignet, la paix semble être revenue. Sous un plancher plafond, de l’épaisseur d’une main, Madame M, le coude sur la minuscule table, pose sa joue sur la paume de sa main, on court dans sa tête. Monsieur A arrive sur le palier du quatrième étage, ouvre sa porte, en fait celle en face d’où habite la forme dans le lit dont dépasse maintenant un pied dans le vide, nu sorti de sous le drap, chaque ongle verni, rouge, un rouge pétant. Le chien de monsieur A, le bon T. frétille autour des jambes de Monsieur A, il lui répond par quelques bonnes caresses affectueuses et tous deux disparaissent dans l’encadré sombre d’un autre couloir menant aux chambres, l’appartement de monsieur A étant le plus grand de l’immeuble, les chambres donnent sur la rue. Madame Z est déjà devant la télévision de l’autre côté de la cloison, cloison pas plus épaisse qu’un nez entre deux yeux.
Essoufflé. Ça se dessine très bien pourtant.