J’aime regarder l’oiseau qui passe de balcon en balcon s’agrippant à ce qui dépasse du petit tuyau d’évacuation d’eau. Arrivé là-haut, il contemple et redescend. Vois tu, l’oiseau cette dame qui regarde derrière sa fenêtre détruite, sans carreaux au dessus d’une petite cloison de parpaings sans crépi ni peinture ? vois tu, à l’étage au dessus, la jeune fille en robe noire à gros pois blancs et chapeau rouge qui essaie de se rappeler ce qu’il y avait avant que son balcon, loge de théâtre urbain, soit haché menu par un obus ? elle voyait les enfants jouer sur le toboggan, elle entendait la dame du dessous injurier sa télévision hurlante pourquoi, elle n’a jamais su. Elle se demandait, la dame à la télé, si elle vivrait là toute sa vie, si ses enfants viendraient la voir. Elles ne sont plus que deux dans l’immeuble les autres ne sont pas revenus, trop tristes ou morts. Qu’est-il devenu le monsieur au dernier étage qui avait gagné un prix, important ils disaient, il faisait ses courses au supermarché, on le croisait dans l’ascenseur. Vois tu, l’oiseau, le bureau où il a écrit toutes ces pages ? A travers ses fenêtres vides vois-tu ses pinceaux de calligraphie, tant de beauté est venue de là, ont ils tout détruit ? et ce grand trou carré, couloir qui déboucherait sur le vide, l’inattentive enfant y est-elle tombée, celle qui le soir faisait ses devoirs sur la table de la cuisine quand tout le monde dormait pour ne pas gêner, le jour elle rêvait beaucoup assommée d’insomnie. Elle allait parfois voir la dame à la télé hurlante et au foulard bleu ça la calmait elle ne disait rien, que se racontaient-elles ? Elle ouvrait la fenêtre en grand et elles écoutaient les oiseaux qui piaillaient en passant de balcon à balcon. Il n’y a plus beaucoup d’oiseaux qui piaillent à Chernihiv, Ukraine.
photo ©AFP
Texte poignant –
Danielle, merci pour votre passage.