C’est un appartement au 8e étage d’un immeuble cossu. Elle rit, veille sur son enfant de cinq ans. Ce soir elle va au cinéma, elle se maquille, part heureuse. Rentre chez elle et s’endort, à côté de son mari. On la voit deux trois heures plus tard tourner s’agiter, pleurer, prendre les valises préparées depuis longtemps au cas où, prendre l’ascenseur, quatre secondes pour arriver en bas, on entend déjà les tirs les bombes, l’affolement général. Très vite, on a une vision en surplomb, réduits à des fourmis, les individus n’existent plus, alerte maximum. Ici, on n’est pas sûr, peut-être ce n’est rien, ça va s’arrêter. Vu de plus haut, tout semble normal, une ville se réveille, puis un obus, une, deux bombes, l’immeuble prend feu, si vite, s’éteint, très vite puis tombe à plat sur le sol un tas de gravats. Mais c’est où ? C’est quoi ? Mon fils, sa femme son petit ils sont où ? La cendre retombe. Plus personne, ils sont où ? que se passe-t-il ? L’avion survole la zone, un immeuble dégringole, un autre s’affaisse sur lui-même, un tas de cendre, ils sont où, que font-ils, où sont-ils ? Mes enfants, là, dans les gravats, tombés par terre, dans leur voiture ciblée par un obus et réduite en poussière, où ? C’est quoi ? Longtemps après le téléphone sonnera, coupé sans arrêt par bribes, on entend, on est dans la voiture, je te rappelle ; c’est le flou, on ne sait plus rien, si, écoute, c’est eux, oui, ne rappelles pas je te dirai. On a les yeux rivés sur la dernière vidéo, le petit au toboggan avec sa maman. Ça flotte, ça déraille, ça ne se peut pas, je délire. Et puis on va les suivre, on est là, un peu plus loin pas tellement, ça n’avance pas. C’est grand l’Ukraine. On essaie de suivre leur avancée. Un coup de fil, enfin, ça ne passe pas, ils dérivent comme tous les africains partis de chez eux, ils attendent, regardent, réfléchissent, abandonnent ? Rester pour continuer. On vogue en silence au-dessus de l’Ukraine de la Pologne puis non de la Hongrie, et puis non… comme à Calais ils essaient, recommencent, ça ne passe pas encore non et la mer les emportent. Eux aussi ils vont être emportés, au hasard, d’un coup de malchance, ou d’un coup de fusil à bout portant, ou passer à travers, pourquoi eux pourquoi pas les autres ? Bientôt, des millions d’immigrés sur la route sur les mers, les guerres le dérèglement climatique, misère, misère, jusqu’à ce qu’on soit tous sur les routes ou au bord de la plage, tous tout nus, disait Marguerite, on sera tous pareils. Et alors…
Bonjour Simone, tu démarres fort, ça sent l’urgence. Oui on finira tous en zoom arrière, bien possible
merci, Catherine, oui, on est tremblant au bord.