Je me souviens peu du métro Exelmans. Dans quelle rue se situe t’il ? A quoi ressemble son entrée ? Bien que beaucoup de stations de métro parisiennes se ressemblent, elles ont toutes leurs petites particularités : le bistrot à côté dont le nom nous est resté en mémoire, une boulangerie, que sais je? Ici rien. Je ne sais pas si le chemin qui y mène est en pente, en côte ou plat. Alors, tout en écrivant, j’essaye de revenir dans cet espace. Le flou s’estompe un peu tandis que mes doigts composent le texte sur le clavier. Il me semble maintenant que le métro Exelmans se situe à un carrefour, légèrement en pente, avec une déclivité qui aboutit à la Seine. Une chose dont je suis sur : la Seine n’est pas loin. Pour la station, j’irai vérifier sur Google, mais après, quand ce sera écrit. Je me souviens très bien que j’habitais non loin de cette station mais je ne me souviens pas du nom de la rue où se trouvait ma chambre de bonne. C’est étrange de ne pas se souvenir du nom d’une rue où l’on a vécu. Mais je me remémore la raison pour laquelle je ne m’en souviens pas : j’appelais cet endroit « la chambre d’ Exelmans» ou même, le plus souvent « Exelmans » tout court et quand j’en parlais, je ne mentionnais jamais l’adresse précise comme par exemple de dire « J’habite rue…» . Non à la place je disais « J’habite à Exelmans. » Et c’est à cause de ça, que, rien à faire, je ne retrouve pas le nom de la rue. Pourtant, j’ai vécu quelque chose comme une année dans cette chambre. Une année dans laquelle j’aimerai pouvoir me voir, à nouveau, si c’était possible mais dans le détail, je me souviens peu. En revanche je me souviens parfaitement de la façon peu orthodoxe dont je m’ étais installé là. Un ami avait laissé la chambre vide sans payer ses derniers loyers. Il s’en était allé à l’étranger ou dans le sud du pays, je ne sais où, sans laissé d’adresse. Cela tombait à un moment où, pour une raison dont elle aussi je me souviens peu, je devais déménager. Sachant que l’ami avait laissé les clefs simplement sous le paillasson en partant, je m’étais tranquillement installé, attendant l’arrivée immanquable, un jour ou l’autre, du propriétaire qui viendrait réclamer son dû et verrait dans ma présence l’occasion de remplacer un désagrément par une opportunité. Ce qui advint. Une fois sa colère passée d’avoir été floué, il me loua l’endroit. Oui, de cela je me souviens. J’ai mémoire aussi du fait peu commun que, pour une chambrette située au sixième et dernier étage, les toilettes étaient au rez de chaussée, particularité incommode qui ne semblait pas perturber le propriétaire. Ma mémoire aussi revoit la Seine à proximité, pas plus d’une rue plus bas, c’est un indice géographique. Si je me souviens peu d’Exelmans, une rencontre incongrue, cependant, m’est restée dans toute son absurdité. Dans cette rue dont j’ai oublié le nom, je me souviens avoir un jour croisé un homme avec une boite étrange à la main. Une boite vert foncée, mesurant environ un mètre de long, peut être un peu plus. L’homme était en costume. Je me souviens l’avoir arrêté et lui avoir demandé s’il s’agissait d’un instrument de musique et, si oui, du quel, car je ne reconnaissais la forme d’ aucun que je connusse. Il me répondit avec le plus grand sérieux qu’il s’agissait d’un bazooka. Je revois nettement le bazooka dans son étui et le fait que ça n’était pas une blague. Ma mémoire tire des fils. J’aimerai savoir mieux qui j’étais alors mais je me souviens peu de comment je vécu là haut. Y étais je heureux ? Y étais je paisible ou au contraire, agité ? En fouillant, en serrant les contours à mesure qu’écrire, des images apparaissent desquelles je reconstitue un puzzle mental : Les sonates pour piano de Beethoven que j’écoutais sur un disque vinyle acheté aux puces. Ces sonates ne devaient plus jamais me quitter. C’est aussi dans cette chambre qu’un livre, pour la première fois de ma vie, bouleversa ma présence au monde. Il s’agissait du Spleen de Paris. Je me souviens très bien du livre lui même, trente cinq ans plus tard, l’exemplaire est toujours chez moi. Les choses reviennent peu à peu, le contexte, ma vie. Je comprend à présent que je me souviens peu du métro Exelmans et de tout ce qui se trouve autour parce que je n’ai jamais vraiment habité le quartier dans lequel il se trouve. J’habitais ma chambre de bonne et je me déplaçais dans la ville quand je sortais rejoindre mes camarades mais je ne passais pas de temps à exister en bas de chez moi. Je me sentais totalement étranger à ces rues, je ne faisais qu’y passer. Je travaillais à l’époque comme surveillant de cantine à l’école active bilingue, dont la cour de récréation était le parc Monceau. Sous les arbres, nous parlions de devenir écrivains avec les copains qui habitaient aux métros Max Dormoy, Alexandre Dumas et Charonne. Et me revient, tirant ce fil, que c’est aussi à cette époque qu’en leur compagnie, je découvrais Balzac, Dostoïevski et Thomas Mann. De cela je me souviens, oui et c’est toute une arborescence qui se découvre. Étais je heureux alors ? Étais je paisible ou agité ? Je n’ai toujours pas de réponse satisfaisante à cette question mais une chose apparaît qui n’était pas là, au début de ce texte : Je me souviens bien mieux, maintenant,du métro Exelmans.
Une belle évocation qui se lève à l’appel d’un«je me souviens mal,»