Il avait marché toute la la matinée dans la ville, traversé des parcs, des avenues, des ruelles ombragés, parlé à tout un tas de gens, expliqué, montré. Mais là, il fallait qu’il respire un instant. La chaleur était telle qu’il n’avait pas senti le coup de chaud arriver. Sa tête se mit à tourner, il perdit l’équilibre, se retint d’un bras contre le mur d’un immeuble, et l’instant d’après, bascula dans le vide, à travers le mur. Son corps, par instinct se mit en boule. Tournant sur lui même, il dévala l’espace sans rien voir et reprit pieds au milieu des toiles d’araignées. Cela sentait la moisissure, l’humidité et, s’insinuant plus que tout dans ses narines, l’odeur du vin. Une odeur lointaine, familière, une odeur d’enfance. Un vin pas comme les autres, un qu’il n’avait plus jamais rencontré après, une fois qu’il avait grandi, un qui laisse la langue bleue. Il se releva sur le sol de terre battue, caressa les énormes barriques de chêne. Contact froid des cercles de fer sur la rugosité du bois bombé. Un homme saoul, qu’il reconnu , vint près du robinet de la plus grosse barrique, l’ouvrit et en approcha une bouteille qu’il remplit. Inutile de lui parler, il savait que le commis était sourd. Il lui tendit la main que l’autre prit et tira vers lui d’une traction puissante. Il fut projeté dans l’escalier, dégringola et se releva dans une autre cave. Cette fois, plus de barriques mais des bouteilles, sans étiquettes, rangées dans des casiers de fer, tout autour de lui. Du plancher, au dessus de sa tête, lui parviennent des voix qu’il reconnaît. « Attention au petit hein, surtout, qu’il descende pas ce foutu escalier, y va se rompre les os. Va donc toi même chercher une bouteille pour les invités.» Des pas lourds dans l’escalier et le parfum si familier de la gauloise sans filtres du grand père. Par réflexe, se cacher derrière l’escalier. Aucun enfant n’a le droit d’être ici. Mais il y a là un puits dans lequel il glisse. Sa tête disparait de la surface asphalté où sa mère et son frère marchaient, l’instant d’avant. Ils continuent leur chemin, ils n’ont rien remarqué.Ils s’éloignent. Il essaye de remonter mais c’est trop escarpé. La seule issue possible est vers le bas. Il y a un couloir. Un tunnel. La voûte et les murs sont couverts de carreaux de faïence, blanc. « Le soir dans le métro sur les tapis roulants, ils cavalent après toi, tu te sauve en courant. Jaurès -Stalingrad, c’est le bruit d’une cavalcade… » chante La Souris Déglinguée dans les hauts parleurs. Il perd l’équilibre, se sent bouger plus vite qu’il ne marche, commence à courir pour rester debout, court court court à perdre haleine mais le tapis roule à l’envers. Quelque chose lui dit qu’il serait dangereux de reculer. Le tapis repars vers l’avant, en pente douce maintenant. Les proportions ont changées. Il reconnaît l’endroit, une station dans Moscou, à trente mètres de profondeur, la pente de l’escalator de plus en plus raide. Sur le quai, des ouvriers gigantesques, sculptés dans une masse de couleur ocre, soutiennent la voûte dans laquelle entre le train. Les portes s’ouvrent, il a juste le temps de se jeter à l’intérieur. Un accordéoniste joue une vieille balade des steppes. Il pense à son autre grand père, le russe, qu’il n’a pas connu. Le train file vers les profondeurs, lancé comme un chariot de mine. Après une course folle qu’il ne peut mesurer, le wagon ralentit puis s’arrête. La porte s’ouvre, il descend. Le train redémarre et entame la côte, devant. Un cycliste puis un autre et un autre apparaissent puis disparaissent. Ils sont chargés de gros sac de randonneur. Ils vont au Cap Nord, en pédalant à 218 mètres sous la mer. Il s’étonne d’être arrivé si profond sans que ses oreilles ne ressentent la pression. « C’est parce que tu commence à t’habituer. » Lance une voix. « Vient donc par ici toi qui courtise ma fille.» rugit elle, dans la foulée. Un troll portant perruque de valet, le guide à la lueur d’une torche vers la voix caverneuse. « Crevez lui un œil!» hurle soudain la voix. Une horde de trolls s’élancent à ses trousses à travers grottes et boyaux au plus profond de la montagne. Une main l’agrippe, le jette dans une anfractuosité, lui intime le silence d’un geste de la main. Une fois les trolls passé il demande le cœur battant : « Mais qu’est ce que je fais ici?» « Tu parcours ton cerveau.» lui répond la femme qui se tient près de lui. « Voudrais tu enfin te reposer?» ajoute t’elle désignant de la main une verte vallée qui s’étend devant lui, sous un soleil radieux. «Ici, plus de mémoire, plus de quête, l’instant présent pour l’éternité, le vœux de toute l’humanité. Depuis toujours tu cherches une sortie, la voici, prends là ou bien retournes d’où tu viens.» A cette instant, sa main toucha le mur contre lequel son étourdissement l’avait fait chavirer. C’était une belle journée d’été, il allait souffler un peu, s’offrir une salade composée, à la terrasse d’un café, accompagnée d’une eau gazeuse, bien fraîche pour faire passer puis, il retournerai travailler.
J’aime le dégringolade et comment tu as articulé les passages, si dans ce type de jeu on enlève la peur, on passe vraiment à autre chose !
Sympa ces sauts dans tous les temps et dans tous les sens, on perd délicieusement pied. Avec une petite préférence pour la cave à vin, mais c’est un avis purement personnel…
Merci merci Laurent pour ce texte réjouissant ! Vive le coup de chaleur et la canicule quand surgit un tel texte ! Vertigineux et généreux !
Quelle belle descente qui nous entraîne avec elle dans des méandres insoupçonnés !