Une femme assise en tailleur devant une supérette. Avachie, le teint pâle, le regard fixe, un filet d’écume au coin de la lèvre. Morte. Les pompiers. Les flics. Les réseaux sociaux. Une enquête. Débriefing. Le légiste conclue à un empoisonnement par piqûre. Pas de papiers mais un QR code tatoué à la cheville, une montre connectée avec traqueur d’activités sous la manche de la chemise grenat et un crayon dans les mains. Vous ! vous vous occupez du site, vous ! de la montre, vous ! des caméras et vous ! des clients du magasin. Ils sont peu nombreux !
le QR code renvoie sur le site l’Être de l’alphabet. Dernier article avec photo de la veille. Elle est installée devant une librairie. L’article a pour titre les données comme description élémentaire du réel et est une compilation de ces mêmes données depuis le lieu où elle est assise.
- Trois caméras visibles à l’entrée d’une bijouterie, d’une cave, et d’un magasin d’informatique
- Beau vieillissant, doit faire 8000 pas par jour pour rester en forme, 3500 pas, 3501, 3502…
- Paumé, se sert du GPS
- Inquiet, il au bras un cardiofréquencemètre
- Addict, tape convulsivement sur le clavier, marche en aveugle
- Multifonction, le casque sur les oreilles, traverse la rue, écoute sa playlist Deezer,
- rédige un mail .
- … La liste continue ainsi avec une vingtaine d’items
Nulle part sur le site n’apparaît le nom de cette femme. Juste un pseudo Mu (μ). Les articles font état de sa démarche quotidienne. Quand elle est morte, elle était censée écrire et faire des croquis devant la supérette mais on n’a retrouvé que son crayon. La montre est plus bavarde. Elle donne le tracé de son parcours depuis 10:00, le nombre de pas, la vitesse moyenne de déplacement, sa fréquence cardiaque, ses rendez-vous, ses messages… Là encore son nom n’apparait pas. Elle a utilisé son pseudo. Quant aux vidéos elles montrent le passage clairsemé de piétons qui parfois la regardent, intrigués. Elle tient un carnet rouge dans les mains. Là un homme s’approche d’elle mais ne la touche pas. Plus loin sur le film une gamine se place à ses côtés pour regarder les dessins, puis une femme, elle prend le carnet en photo et elles rentrent dans le magasin, puis un homme grand et maigre, cheveux rares et lunettes de soleil. Elle lève les yeux, il lui montre du doigt la caméra et tandis qu’elle tourne la tête vers la caméra il lui touche l’épaule. Et… regarde ! il est parti par la rue de la République ! sans se presser.
Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ?
— Désolée j’étais au téléphone, je n’ai pas fait attention
— J’écoutais les infos sur mon smartphone…
— Je regardais la liste des courses sur mon iPhone, je ne l’avais même pas remarquée
— Elle dessinait très bien, j’ai pris en photo un de ses dessins sur mon smartphone, vous voulez le voir ?
Très beau texte, Claudine, un peu intrigant, un peu inquiétant. En tout cas, on est pris dans plusieurs réseaux de données, qui ne donnent pas de solutions.…
Merci pour ce moment de lecture qui donne à réfléchir !
C’est pas mon fort les solutions … Et c’est difficile d’utiliser des données que je ne maitrise que partiellement pour créer du réel… mais j’écris et le plaisir est là. Alors merci encore de cette lecture bienveillante !