L’appartement fait l’angle du carrefour. Un coin. Son coin. Avec terrasse, vue plongeante sur le croisement des deux rues principales de la petite ville. Habiter dans une rue non passante l’aurait effrayée. L’intersection lui apporte la vie du dehors pour combler son vide du dedans. La déneigeuse passe en priorité. Le bus de ligne peine à amorcer le virage. Cette priorité à droite, un jour ça va cartonner. Aujourd’hui, enfin, l’événement, un accident, l’américaine ne savait pas qu’en France il n’y a pas de panneaux pour les priorités à droite dans les villes, l’apprentie conductrice, elle, tremble, la plaque d’immatriculation est arrachée, elle a pourtant respecté le code de la route, on est en France, pas aux States, le ton monte, le carrefour se transforme en scène de théâtre ; depuis le temps qu’on le dit qu’il faudrait mettre un stop. Oui mais ça fait ralentir ceux qui partent sur la plus grande route. La priorité est-elle une manière de penser aux routes secondaires ? Elles sont un peu comme ces personnages de romans qui se tiennent à l’arrière-plan des protagonistes, il faut un bon gros accident pour qu’enfin, on y prête attention. Liste des thèses qu’il reste à faire sur les personnages secondaires non encore étudiés dans la littérature. Liste des routes secondaires à accident potentiel. Odeur de goudron frais, réfection. Il faudra repeindre le passage piétons. Mais qu’est-ce qu’ils foutent, voilà déjà quatre mois, un gamin va se faire renverser si ça continue. Les voitures ne voient pas le panneau, les bandes blanches c’est plus efficace. Les premiers coups de klaxon marquent le réveil de la ville, elle en a besoin, le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie, c’est pour cela qu’il lui faut un coin bien serré, un carrefour à tension permanente. L’affiche du mur qui borde l’extrémité droite de la plus grande route est changée le mercredi matin, qu’il vente ou qu’il neige, comme on dirait. Le poseur n’est pas toujours le même. Ça en fait du spectacle. Les gamins de l’école d’en face sont les acteurs les plus vivants, ne traversent pas vraiment dans les clous, musique à fond, quelques insultes. On a coupé les branches de l’arbre. Elles on repoussé plus fortes. Les oiseaux sont-ils les mêmes ? Elle n’y connaît rien en oiseaux, pense que ce sont des chauves- souris. Peu importe. Lutter contre le silence. Le camion de poubelle, entre 5h et 5h30. Alleluia ! Un messie celui-là, il apporte la bonne nouvelle, la ville est en vie et en bruit. Au carrefour de sa vie. Il faudra changer les fleurs fanées dans la jardinière du balcon.
Je trouve que les carrefours (et pas seulement en ville) sont un lieu inépuisable d’histoires. Tu racontes tant de choses. J’aime beaucoup.
Merci Jean-Luc pour ta lecture..oui les carrefours de tout ordre sont des lieux inépuisables….l exercice du jour m a permis de m en rendre compte
Le temps du carrefour est un temps long et habité.
Le carrefour croise les choses et les gens.
Merci pour ton carrefour, Marie-Caroline !
Oui..habiter le carrefour est tout une histoire..merci Fil pour ta lecture