Je suis un homme de soixante dix-sept ans qui vient de perdre son compagnon. Depuis qu’il a quitté la maison, rien n’a bougé sur son bureau en acajou, à droite un dossier à la couverture verte sur laquelle est écrit à l’encre noire: Voiture. Je l’ouvre rapidement et découvre: carte grise, vignette, papier vert, assurance auto, assurance maison, certificat de non gage, contrat de travail, factures de réparations de l’auto, vignette de contrôle et même des papiers de la mutuelle. L’hôpital vient de m’appeler pour m’annoncer la fin, la triste nouvelle, le cancer de la prostate a gagné, Raymond est mort, décédé. On m’invite à venir au plus vite lui rendre une dernière visite et récupérer ses affaires. En raccrochant j’ouvre machinalement le tiroir en dessous du téléphone, en vrac j’y trouve des talons de chéquiers, des remboursements, des factures de téléphone, des factures D’EDF et aussi le bail avec les quittances de loyers du logement que nous occupions avant que nous soyons devenus propriétaires. Je me mets en route, une heure après cet appel funeste, j’entre dans la chambre 008, Raymond est là, allongé, paisible et froid dans le lit légèrement redressé. On dirait qu’il m’attend et qu’il va me parler, je l’entends me demander si j’ai bien pensé à lui rapporter la facture de l’appareil photo qu’il souhaiterait échanger pour un Lumix GH5. « Tu la trouveras dans le 3ème tiroir de mon bureau, tu sais là où sont rangés le livret de famille, les livrets militaires, les diplômes, notre contrat de mariage, d’anciennes fiches de paies, quelques cartes de fidélité de magasin, des cartes de téléphone usagées, une carte de la photocopieuse de la fac, mon livret de caisse d’épargne et une lettre de ma mère » m’avait il dit fièrement. Je m’approche du lit, je l’embrasse affectueusement et lui glisse à l’oreille: ne t’inquiète pas, je l’ai trouvé la facture de l’appareil photo, hier je suis même allé à la Fnac, ils m’ont dit qu’il n’y aucun souci pour l’échange, tu peux passer quand tu voudras. A gauche de son lit sur la table mobile, je vois un trousseau de clé, un appareil photo, un dossier à la couverture orange sur laquelle est écrit à l’encre bleue: Santé. Je l’ouvre précautionneusement et découvre: analyses médicales, radio, examen positif du cancer de la prostate par toucher rectal, carte de groupe sanguin, IRM, test VIH, test COVID, lettre d’un médecin.
Une dernière fois, je m’allonge à ses côtés, j’enfouis ma tête dans son cou et j’aperçois un papier blanc qui dépasse de la poche poitrine de son haut de pyjama. Tremblant je le sors, je le déplie et lis: Daniel Je t’aime, pour toujours signé Raymond. Daniel c’est moi.
C’est triste mais c’est la vie. Cela nous pend tous au nez. Merci Cécile pour ce texte réel.