Ces lectures d’enfance où seul sur l’îlot de mon lit je voyageais avec Sans famille d’Hector Malot, Michel Strogoff de Jules Verne, Michaël chien de cirque de Jack London, Le grand Meaulnes d’Alain Fournier, Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, Robinson Crusoé de Daniel Defoe à moins que ce soit la version de Michel Tournier Vendredi ou la Vie sauvage… Puis l’adolescence avec Zola dont je garde en mémoire les lieux de lecture de Nana, Le Docteur Pascal. J’ai oublié un peu L’Assomoir, Au bonheur des Dames, Thérèse Raquin. Il y a eu Flaubert, Madame Bovary, Bouvard et Pécuchet. Puis quelques romans et nouvelles de Balzac, Maupassant, Poe, Steinbeck de La Grande Vallée, des Souris et des hommes, Faulkner, Moby Dick de Melville, Kafka, Anaïs Nin, Henry Miller, Pascal Quignard… j’en oublie. Tous ces livres perdus dans les déménagements, ou donnés… Qu’est-ce qu’il en reste? Jamais relus. Tous les relire?
Georges Perec, pour les traces mnésiques des lieux, les contextes, les contraintes qui fonctionnent comme des protocoles. Se sentir en dette avec lui pour ça… comme avec Édouard Levé, Christophe Tarkos.
Pour avoir témoigné, pour ce témoignage essentiel, Si c’est un homme, Primo Lévi
Julio Cortazàr – La brièveté des récits, l’économie de la nouvelle, avec embarquement à effet immédiat, au coeur du film, en quelques lignes ou plusieurs pages… Comme Raymond Carver tout est là.
Pierre Michon au détour de Vie de Joseph Roulin et Le roi du bois et Onze,
pour tout ce qu’il travaille à faire un style, des phrases qui reviennent, des occurrences qui se répètent, un vocabulaire, des tournures précieuses, et l’inverse, la langue vernaculaire…
Pierre Guyotat pour la chaire, le réalisme cru, le rappel au corps sexué sans arrêt; et surtout pour des phrases au bord de la rupture, au risque presque de nous perdre, des accumulations
Ce que j’appelle oubli de Laurent Mauvignier, le choc, la voix forte, le récit choral… ce qu’il arrive à disjoindre dans la phrase avec une facilité déconcertante
Thomas Wolfe – pour l’écrivain qui témoigne dans son histoire d’un roman – comme un autre et avec une différence d’intensité Franz Kafka dans son Journal
Jorge Luis Borges, pour avoir été stupéfié par sa force d’évocation
Pierre Bergounioux, pour son réalisme et parce qu’il y a en nous, les provinciaux – habitants des territoires conquis, un crétin rural qui sommeille…
Hélène Bessette, “Naturellement pour convaincre il aurait fallu que mon physique soit très différent…” son être comme une barque frêle où la voile tendue sur son époque éprouve tous les vents contraires, être une femme seule, un monde d’hommes qui tirent les ficelles, ses livres ne se vendent pas car trop avant-gardistes, un procès qui la poursuit, toujours à peine de quoi vivre, sentir le sort s’acharner sur elle…
Jacques Roubaud, une vie (que l’on pourrait croire) en bibliothèque à la recherche du sonnet, les mathématiques et la poésie. Souvent présent…
Souvent présents Francis Ponge, Jacques Dupin, Henri Michaux, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy…
Lambeaux de Charles Juliet, comment ce récit peut-être à ce point familier, jusqu’à s’associer à notre histoire… Je retrouve chez Michèle Desbordes une parenté de style.
Le journal de deuil de Roland Barthes : pour l’infini désespoir de la perte que rien ne console, et les brèches de réalité, des fulgurances : […] désormais et à jamais je suis moi-même ma propre mère. Et c’est qui se passe dans Homère est morte d’Hélène Cixous. Et Tiphaine Samoyault pour son Roland Barthes.
Proust qui m’a longtemps résisté, parce qu’il fallait l’avoir lu, parce qu’il fallait en faire sa lecture estivale d’un trait. Et aujourd’hui en lire des passages, au hasard, dans le désordre….
Fernand Deligny parce que j’y reviens souvent aux sources de son témoignage clair, pour le verbe camérer, les champs d’expérimentations en train de se faire, les enfants fous, les cartes, des films à faire.
Les carnets de Joseph Joubert : Pour l’oublier et y revenir et redécouvrir une langue qui éclot neuve, se sentir proche de cette pensée fragmentée, libre, influencée par la lecture; y puiser des forces.
14 août 1804
Le style continu (ou la succession didactique et non interrompue des phrases et des expressions) n’est naturel qu’à l’homme qui tient la plume et qui écrit pour les autres. Tout est jet, tout est coupure, dans l’âme. Elle s’entend à demi-mot.
Les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau pour finir ou pour commencer
… ah oui ! vous avez raison, comment pourrions nous finir d’énumérer. De Jules Verne à Rousseau, c’est déjà un beau voyage…
Merci Béatrice
Une belle limpidité dans cette évocation
En accord sur Michon, Bergounioux (si belles langues et si fortes), et Cortazar… que dire de Juliet !
enfin merci…