#anthologie #36 #37 | Epaissir l’histoire de Léonie

1 – Au début de mes recherches sur la guerre de 14-18, et mes diverses tentatives pour écrire l’histoire de Léonie, je vis cette affiche. J’imagine alors en la voyant les émotions qui ont dû te traverser. Je savais que tu l’avais vue, elle était affichée dans toutes les mairies de France. Tu avais quatorze ans, stupeur, inquiétude, terreur t’ont terrassé. Qu’alliez-vous devenir ? Tu vivais une vie heureuse à la ferme avec tes parents, ton frère et la petite dernière, Marie-Louise, ta lumière, elle avait juste quatre ans et te suivait partout.

Mobilisation générale disait l’affiche :” Par décret du Président de la République, la mobilisation des armées de terre et de mer est ordonnée, ainsi que la réquisition des animaux, voitures et harnais nécessaires au complément de ces armées”. Est-ce que tu imaginais ce que ça impliquait pour ta famille ? Les animaux réquisitionnés pour nourrir les troupes. Quelques mois plus tard, les allemands occupent le village, ils réquisitionnent les vaches pour la viande et le lait.
Tu sentais l’inquiétude de tes parents, l’incertitude des jours et semaines à venir. Tu pensais encore que la guerre ne durerait que quelques mois, ton père te l’avait affirmé.

2 – Aux Rencontres de la photo d’Arles, cette année je vis un hommage au photographe Jean-Claude Gontrand, historien de la photographie, un des créateurs dans les années soixante-dix des rencontres. Dès les premières salles je suis conquise par une série de photos au graphisme épuré, notamment celle de la construction du périphérique parisien avec une multitude d’éléments métalliques, d’escaliers de service, de forêt de tiges pour le béton armé. Un gigantesque enchevêtrement d’éléments métalliques, de grillages et de poteaux. Quelques salles plus loin, je reste en arrêt, surprise, interrogative devant une série de photos. Pas seulement pour leur esthétique ou leur qualité graphique, mais par le sujet traité : “Vassivière, vallée et village engloutis”. Dans les années 1950 un barrage hydroélectrique est construit et un lac artificiel aménagé pour électrifier les villages de la Creuse.

En 1995, le lac est asséché pour un curetage, le photographe, arpenteur de mémoire Gontrand passe par là. Il dira “ça m’a donné la chair de poule quand je suis allée voir ça”. Le résultat est une série émouvante du village fossilisé. On découvre des vestiges d’habitations, un pont romain à deux arches, les souches d’une allée de platanes. Tout un monde fossilisé, figé dans le calcaire. On voit les routes reliant les villages, des murets de pierres sèches, des filets d’eau, traces de la rivière la Maulde. On pense aux habitants déplacés qui ont perdu leurs maisons et à tous les autres qui ont vu leurs villages électrifiés et leur vie transformée par l’arrivée de l’électricité.

Devant ces photos, je pense aussi aux villages détruits pendant les guerres, à ceux détruits lors de la bataille de la Marne pendant la guerre de 14-18, mon sujet d’écriture du moment. Au petit village meusien de la butte de Vauquois complètement détruit en 1916 et jamais reconstruit.

3 – Par hasard, je tombe sur une photo d’amoncellement de mes carnets de voyage postée, il y a quelque temps sur ma page Facebook. Mais est-ce un hasard ? Me vient une idée, et si j’utilisais cette forme, le “carnet de voyage” pour écrire le récit de la trop courte vie de Léonie. En mixant texte, cartes, photos et collages ?

Et ainsi répondre aux questions que je me posais dans la #32 : Le fait que je cherche une forme pour parler de toi Léonie D. morte à vingt-deux ans en 1922. Le fait que ce sera peut-être ton journal de vie mêlé à mon journal de création.

4 –

A propos de Isabelle Vauquois

Vit à Mérignac, à deux pas de Bordeaux. Souvent sur les routes du Périgord dans des Sites aux paysages remarquables pour le travail. Depuis 2018, découvre l’écriture avec les ateliers de Claire Lecoeur. Première expérience Tiers livre en 2023 avec "le Grand carnet". Deuxième, cet atelier d'été 2024. Plus j'apprends à écrire, plus j'apprends à lire ! .

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