Je n’avais jamais osé en parler avant. Je vous remercie de me convoquer, de me laisser raconter quelque part ce que je n’ai jamais pu laisser transparaître dans cette vie, peut-être pourrais-je ainsi partir vraiment, même si plus personne ici bas ne pense à moi, et c’est tant mieux, j’ai certainement laissé à tout ceux qui m’ont croisé après un souvenir de dureté voire de méchanceté. Je ne pouvais pas faire autrement. Jusqu’à mon dernier souffle, mes traits se sont figés en un masque de fermeté. Peut-être me suis je détendue lors de mon ultime expiration ? Je n’ai jamais laissé ma main aller avec tendresse sur la tête de mon enfant. Je ne me souviens pas l’avoir embrassée une seule fois, à peine lui ai-je tendue ma joue. Il est vrai qu’à mon époque cela se faisait peu, pourtant cette pensée revient sans cesse. J’aurais tellement aimé avoir le souvenir de ses fins cheveux sur mes doigts. Le souvenir de ses regards craintifs me tue chaque fois qu’il me revient. Je ne pouvais pas la laisser gâcher sa vie. Malgré ses pleurs et ses supplications, je ne l’ai pas laissé garder cet enfant. À 17 ans, la vie commence à peine. Ne me jugez pas si vite, j’ai payé cette erreur toute ma vie durant, et même après. J’ai perdu et mon enfant et mon petit-fils. Elle l’avait pourtant à peine aperçu, mais dès ce jour, je suis morte pour elle. Elle m’a fui chaque fois qu’elle l’a pu. Elle a fait de belles études de lettres loin, très loin. Elle n’a pas répondu à mes lettres, la rancune était trop tenace. Je ne sais même pas si elle est venue à mes funérailles. A-t-elle fondé une famille qu’elle a tenu loin de moi ? Si seulement j’avais le souvenir de son amour.