Prendre l’objet à portée de main au moment où l’on écrit. Et chaque jour, pendant cinq jours, y revenir.
1 – Une boîte noire qu’on définirait comme de l’ébène mais c’est du plastique. Une boîte ronde comme un palet de hockey sur glace, mais légère, car vide, et de deux parties égales, l’une simplement vissée dans l’autre. Une boîte ronde sans utilité dont il est impossible de se rappeler comment elle est arrivée là. Un plastique dur, brillant.
2 – Une boîte noire, c’est un contenant, la promesse de quelque chose à découvrir, mais encore fermée, encore juste une boite, et l’on ne sait rien de ce qu’il y a à l’intérieur. On la définirait comme de l’ébène mais c’est du plastique, une pollution imputrescible : elle sera toujours boîte et noire bien après la décomposition des corps de celles et ceux qui l’ont conçue puis manipulée, plus résistante que la chair, les organes, les boyaux. Une boîte ronde comme un palet de hockey sur glace, mais légère, car vide ou remplie de si peu qu’on n’en sent pas le poids, et de deux parties égales, l’une simplement vissée dans l’autre, l’autre dans l’une. Une boîte ronde sans utilité définie, dont il est impossible de se rappeler comment elle est arrivée là, ce qu’elle a pu contenir ou qui l’a déposée sur l’accoudoir du divan du salon. Un plastique dur, brillant. Froid.
3 – Une boîte noire, c’est la vérité enfin révélée et c’est donc une métaphore de l’écriture. Toutes les données qui permettent de comprendre enfin l’accident. Celle-là n’est pas de l’avion, juste un cylindre de plastique mais sont peut-être dedans les données brutes, le réel déchiffré, la pierre philosophale, le mot juste. Ecrire la boîte noire c’est sans prendre de risque dire le monde entier et le secret bien gardé qui explique la catastrophe. La boîte noire, c’est l’encre solidifiée qui contient tous les mots de passe à tracer pour accéder aux infinies possibilités offertes à ceux qui savent. Et si elle est vide comme on le suppose, c’est l’absurde accompli qui ne surprend que ceux qui s’attendent à y trouver quelque chose.
4 – A bien y regarder la boîte noire n’est pas intégralement noire. Les reflets y font une tâche blanche, d’un blanc lumineux, aussi blanc que le noir est noir. Plus encore peut-être, et sur la surface lisse, la poussière est visible ça et là, grise. Le noir est une illusion. Un état temporaire qui dépend de l’éclairage, de l’environnement, du moment précis et d’où se jette le regard. La boîte noire est une abstraction : ce qu’on a sous les yeux est bien autre chose, de plus riche, de mouvant, d’incertain. L’analyse trop rapide du départ ne résiste pas à un examen approfondi. La boîte noire au fil du temps disparaît. Rien de tangible. Son évanescence laisse place à un objet indéfini. Rien n’a changé. Rien ne sera pareil.
5 – Ne plus rien savoir de la boîte noire. Ni sa couleur, ni ce qui se loge à l’intérieur. Juste une forme presque cylindrique au couvercle biseauté, au diamètre pensé pour se loger pile dans la paume de la main. Plastique opaque. Mystère imputrescible. La boîte noire a eu raison de toutes les certitudes.
A force de langage, c’est la réalité qui s’enfuit.
Bel œillet !
Merci ! Il est caché dans la boîte.
Bravo pour ce texte. J’aime l’idée de la boîte noire comme métaphore de l’écriture…
aussi parfait que la rondeur et le noir très plastique de la boite
objet bien choisi dans son apparente banalité pour servir de base à tant et tant (mais encore faut-il en être capable, et ma foi ce n’est pas si courant même sans penser uniquement à mes propres capacités)