… s’il faut en finir avec nos morts, s’il faut de leur cimetière refermer discrètement la grille pour qu’ils se retrouvent enfin, si faire acte d’écrire n’est autre que technique de célébration, qu’il faut en passer par là, éclabousser l’écran de nos nuits sans sommeil, noircir des carnets jusqu’à ce que la main s’épuise, s’il faut, pour qu’ils vivent leur vie de morts, que nous vivions la nôtre de vivants, s’il faut nous en saturer le corps jusqu’à ce qu’ils nous en suintent par chaque pore de la peau, s’il faut briser les armoires, ne conserver qu’un os de seiche un seul, un bol de Quimper, une amphore, des photos de chien et la lettre-du-mercredi-des-bonnes-nouvelles, s’il faut en finir entre eux et nous, s’en défaire, alors, avant de partir, je convoquerai pour eux la lumière au dessus de Crozon, de Morgat et Landeda, je convoquerai le Bagad de Lann-Bihoué, l’orchestre de Duke Ellington et l’E Street Band et Bruce Springsteen, je convoquerai les accents de Billie Holiday, la voix de Louis Armstrong et les scats d’Ella, la trompette et les swing et les rock et l’écriture de Vian, la clarinette de Sidney Bechet, le saxo de Manu Dibango, je convoquerai Nougaro, Nina Simone et tout le cortège de son King of Love, je convoquerai le Jardin d’hiver de Salvador, Leo Brouwer et sa guitare et celle de Django et le violon de Stéphane Grappelli, et le piano de Petrucciani, s’il faut laisser l’escalier une dernière fois, s’il faut en finir avec lui aussi, je dresserai la table des fêtes du dimanche, qui ne sera fête que par leur grande tablée de morts, je servirai l’omelette aux lardons du grand retour d’Espagne, la portugaise aussi, je servirai le far breton et le poulet basquaise et le chichi des retours de plage, je servirai le cake aux raisins et la croûte du pâté en croûte, le boudin noir et les boulettes dans la sauce du lapin, s’il faut en finir avec mes morts je monterai et puis redescendrai une dernière fois l’escalier tout près de l’échauguette, l’autre escalier aussi, plus loin, celui derrière une porte cochère, s’il faut en finir avec les morts, en finir avec tout ça, je refermerai la grille de leur cimetière de plaine et les laisserai se reposer entre eux – mais que faire, que faire pour celui qui jamais ne sera mort ? le laisser se perdre – se perdre dans le bruit et la fureur du monde, celui qu’il s’était choisi ?
merveilleusement vivant !
… merci, Jacques – Pierre Michon a toujours raison ! 😉