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Ovale, presque rond, il tient parfaitement dans la main. Surface rugueuse, granuleuse mais dure du granit dont il est fait. Couleur dominante claire mais ponctuée de petits grains noirs et gris qui lui donnent parfois en pleine lumière un aspect verdâtre. C’est un galet.
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Sur le rebord d’une étagère de la bibliothèque. Se méfier de sa chute. Un galet, le mien. Pas le galet du poète. Un dur, il ne crachera jamais le morceau, il peut sembler déplacé, incongru, mystérieux, il ne trahira pas. À mes souvenirs seulement il chuchote. Ou plutôt, il les rappelle, les tient vivaces. Ramassé dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire où, juste avant l’adolescence, pendant les longs étés, on essayait de pêcher. Longtemps eu cette fascination mystérieuse pour les cailloux ronds. Le prendre dans la main à quelques décennies de distance et c’est encore toute la fraîcheur du paysage du petit cours d’eau qu’il charrie ce galet de granit. Suivent alors le murmure de la petite retenue en amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers et des barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ce sont ces vers d’eau utilisés comme appât quand les réserves en lombrics étaient épuisées. Il fallait retourner les pierres pour dénicher un petit fourreau assemblé de grains de sables et de brindilles puis, en extraire le vers souvent très charnu d’un jaune presque orange pour l’empaler ensuite sur l’hameçon N°13. Et toujours cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a directement ramené une petite truite ! Vite assommée et cachée dans son slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Et cette fierté, le jour où on est venu pêcher avec au bout de la ligne un rapala, un poisson leurre américain très réaliste et le plaisir de le faire se dandiner dans le courant. Plus tard, dans un livre, on apprendra que pour bien pêcher le goujon, il faut troubler l’eau autour de l’appât, on lira aussi que nos vers d’eau s’appellent des « portes bois », que les truites en raffolent et, chez Pierre Bergounioux, on comprendra comme elles ont bien dû rigoler les truites. Aujourd’hui ce cours d’eau on ne le pêche plus, son étiage toujours plus bas ; pompages, engrais, pesticides, sécheresse, urbanisation des rives sans parler de celui qui, une nuit, balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Il y a peu j’ai appris le décès de W.
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De l’écran lever les yeux vers les rayonnages de la bibliothèque. Ils sont nombreux ces brimborions que tu as promus monuments de ta mémoire quotidienne. Parfois, certains magazines sollicitent et interrogent une personnalité à propos d’un de ses objets fétiches. Une photo et un texte d’une demie page pour expliquer. Dans cette exposition aussi, à l’occasion d’un événement d’art contemporain, quand les commissaires, dans un souci d’ouverture démocratique pas loin du démagogique, demandaient aux visiteurs de venir déposer un objet important pour eux. À chacun des autres visiteurs alors d’imaginer ce qui pouvait relier l’objet à son propriétaire. Romans. Tu aurais bien participé à l’époque. Maintenant tu choisis quoi ? Ta première tirelire, ton ours en peluche avachi, ton premier jouet – un hippopotame miniature en plastique –, une poupée berbère, le pose-portable en bois fabriqué pour toi par A. Et pourquoi pas lui ? Quand même un peu limite pour cette proposition d’écriture. Ovale, presque rond, sur le rebord d’une étagère éloignée. Il tient parfaitement dans la main mais se méfier de sa chute. Surface rugueuse, granuleuse mais dure du granit dont il est fait. D’après wikipédia, cette roche est grenue, tu le trouves juste ce mot. Couleur dominante claire mais de petits grains noirs et gris lui donnent parfois, en pleine lumière, un aspect verdâtre. C’est un galet. Pas le galet du poète. Un galet, le mien. Un dur mon galet, il ne crachera jamais le morceau, il peut sembler déplacé, incongru ou mystérieux mais, il ne trahira pas. À mes souvenirs seulement il chuchote. Ou plutôt, il les fait remonter, les tient vivaces sous forme d’images fragments. Elles se rassemblent là, à l’écriture. Les organiser en partant de soi presque adolescent, les pieds dans l’eau et regarder autour. Ramassé dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire où pendant les longs étés on essayait de pêcher. Longtemps eu cette fascination mystérieuse pour les cailloux presque ronds polis par les eaux. Le prendre dans la main à quelques décennies de distance et c’est encore toute la fraîcheur du paysage du petit cours d’eau qu’il charrie ce galet de granit. Suivent alors le murmure de la petite retenue en amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers et des barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Et là, à écrire on continue à creuser dans la mémoire, sous le galet. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ce sont ces vers d’eau utilisés comme appât quand les réserves en lombrics étaient épuisées. Il fallait retourner les pierres pour dénicher un petit fourreau assemblé de grains de sable et de brindilles puis, en extraire le vers d’un jaune charnu pour l’empaler ensuite sur l’hameçon N°13. Et toujours cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a directement ramené une petite truite ! Vite assommée et cachée dans son slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Et cette fierté, le jour où on est venu pêcher avec au bout de la ligne un rapala, un poisson leurre américain très réaliste et le plaisir de le voir se dandiner dans le courant. Plus tard, dans un livre, on apprendra que pour bien pêcher le goujon, il faut troubler l’eau autour de l’appât, on lira aussi que nos vers d’eau s’appellent des « portes bois » et que les truites en raffolent et, chez Pierre Bergounioux, on comprendra comme elles ont bien dû rigoler les truites. Un peu facile mais cette impression qu’on a à l’écriture de remonter toujours plus de souvenirs comme on trouvait ces larves dodues et juteuses sous des galets plus gros que celui qu’on a gardé d’alors. Aujourd’hui ce cours d’eau on ne le pêche plus, son étiage – ce mot rêche de technicien mais parce que les basses eaux sont en été a toujours semblé une belle réussite lexicale – toujours plus bas ; pompages, engrais, pesticides, sécheresse, urbanisation des rives sans parler de celui qui une nuit balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Quand l’écriture rejoint la lecture et se dire que mon galet, il m’a permis Ponge. La joie que ce fut alors lycéen de se prendre ce poème pleine face au milieu de la salle de classe bondée et triste. C’est mon galet que je lisais. Même intensité de lecture avec la petite carafe de vairons dans la Vivonne proustienne, c’est ma petite rivière de l’enfance que je lisais. Comme ils m’ont parlé ces textes ! Il y a peu j’ai appris le décès de W., c’est peut-être aussi inconsciemment pour lui ce choix. Et là, ce frisson d’effroi. Écrire depuis trois jours et se souvenir d’un coup, cette nuit : les cendres de W dispersées dans la Loire. Déplié par l’écriture mon galet. Presser ce granit pour en extraire tous ces souvenirs fragments, les rassembler, les mettre au jour. Tout cela sinon resté flou en dedans et menacé d’oubli. Dire aussi cette réticence à l’autobiographique.
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De l’écran lever les yeux vers les rayonnages de la bibliothèque. Ils sont nombreux ces brimborions que tu as promus monuments de peu : ta première tirelire, ton ours en peluche avachi, ton premier jouet – un hippopotame miniature en plastique –, une poupée berbère, le pose-portable en bois fabriqué pour toi par A. Et puis lui, un peu limite ton choix. Ovale, presque rond, il trône sur le rebord d’une étagère éloignée. Il tient parfaitement dans la main mais se méfier de sa chute. Frais, grenu et dur du granit dont il est fait. Couleur dominante claire mais de petits grains noirs et gris lui donnent parfois, en pleine lumière, des reflets verdâtres. C’est un galet. Pas le galet du poète. Un galet, le mien. Un dur mon galet, il peut sembler déplacé, incongru ou mystérieux mais, il ne dira rien. À mes souvenirs seulement il chuchote. Ou plutôt, il les fait remonter, les tient vivaces sous forme d’images fragments. Elles se rassemblent là, à l’écriture. Les organiser en partant de soi presque adolescent, les pieds dans l’eau et regarder autour. Ramassé dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire où pendant les longs étés on essayait de pêcher. Longtemps eu cette fascination mystérieuse pour ces cailloux presque ronds polis par les eaux. Le prendre dans la main à quelques décennies de distance et c’est encore toute la fraîcheur du paysage du petit cours d’eau qu’il charrie ce galet de granit. Suivent alors le murmure de la petite retenue en amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers et des barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Et là, à écrire on continue à creuser dans la mémoire, sous le galet. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ce sont ces vers d’eau utilisés comme appât quand les réserves en lombrics étaient épuisées. Il fallait retourner les pierres pour dénicher un petit fourreau assemblé de grains de sable et de brindilles puis, en extraire le vers d’un jaune charnu pour l’empaler ensuite sur l’hameçon N°13. Et toujours cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a direct ramené une petite truite ! Vite assommée et cachée dans son slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Et cette fierté, le jour où on est venu pêcher avec au bout de la ligne un rapala, un poisson leurre américain très réaliste et le plaisir de le voir se dandiner dans le courant. Plus tard, dans un livre, on apprendra que pour bien pêcher le goujon, il faut troubler l’eau autour de l’appât, on lira aussi que nos vers d’eau s’appellent des « portes bois » et que les truites en raffolent et, chez Pierre Bergounioux, on comprendra comme elles ont bien dû rigoler les truites. Un peu facile mais cette impression qu’on a à l’écriture de la petite rivière de remonter toujours plus de souvenirs comme on trouvait ces larves dodues et juteuses sous des galets plus gros que celui qu’on a gardé d’alors. Aujourd’hui ce cours d’eau on ne le pêche plus, son étiage – ce mot rêche de technicien mais parce que les basses eaux sont en été t’a toujours semblé une belle réussite lexicale – toujours plus bas ; pompages, engrais, pesticides, sécheresse, urbanisation des rives sans parler de celui qui une nuit balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Quand l’écriture rejoint la lecture. Et de se dire que mon galet, il m’a permis Ponge. La joie que ce fut alors lycéen de se prendre ce poème pleine face au milieu de la salle de classe bondée et triste. C’est mon galet que je lisais. Même époque et même intensité de lecture avec la petite carafe de vairons dans la Vivonne proustienne, c’est ma petite rivière de l’enfance que je lisais. Comme ils m’ont parlé ! Il y a peu j’ai appris le décès de W., peut-être aussi pour lui ce choix. Écrire depuis trois jours et se souvenir d’un coup, cette nuit : les cendres de W dispersées dans la Loire. Déplié par l’écriture mon galet. Malaxé, pressé pour en extraire tous ces souvenirs, les mettre au jour. Tout cela sinon resté flou en dedans et menacé d’oubli. Dire aussi cette réticence à l’autobiographique.
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Ovale, presque rond, sur le rebord d’une étagère ; frais, grenu et dur du granit dont il est fait. Des reflets verdâtres comme vase. C’est un galet. Pas le galet du poète. Un dur mon galet, il ne dira rien. Il charrie mes souvenirs fragments. Les écrire depuis soi presque adolescent, les pieds dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire lors d’un de ces longs étés à essayer de pêcher. La fraîcheur du paysage, les chuchotis de la petite retenue amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers avec les barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ces vers d’eau pour appâter quand la réserve de lombrics épuisée. Retourner les pierres, dénicher un petit fourreau de grains de sable et de brindilles, extraire le vers jaune charnu et l’empaler sur l’hameçon N°13. Cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a ramené direct une petite truite ! Vite assommée et cachée dans le slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Cette fierté aussi, ce jour à faire se dandiner dans le courant au bout de la ligne un rapala, poisson leurre américain. Plus tard, les livres où nos vers d’eau deviendront des « portes bois » et comprendre dans ceux de Bergounioux comme elles ont dû bien rigoler les truites. Cette joie aussi du lycéen à retrouver chez Ponge son galet et chez Proust un peu de sa petite rivière dans la Vivonne avec sa carafe pour piéger les vairons. Mon cours d’eau n’est plus pêché ; étiage au plus bas, sécheresse, pompages, engrais, pesticides, urbanisation sans parler de celui qui une nuit balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Apprendre il y a peu le décès de W. et se souvenir au terme de l’écriture de ce galet que ses cendres dispersées dans la Loire. Étiage au plus bas.
J’ai été embarquée ! Merci, très beau !
Merci Jeanne ! L’écriture a été laborieuse mais avec le travail sur plusieurs jours, l’irruption de W a permis d’aboutir ! Pour moi la leçon des Ateliers avec François, c’est là où la consigne nous amène, ce qu’elle fait remonter, toujours très surpris de ce qui s’écrit !