Elle est blanche, majestueuse et lumineuse. Je marche dans ce labyrinthe froid où les rues se confondent, les pavés se ressemblent, la distinction disparaît et laisse place à des masses sombres et décolorées. Les murs sont impitoyables. Les impasses des bouches d’où peuvent sortir des démons, immondices oubliées du Tartare. Mon coeur s’accélère. Mes pas suivent le rythme d’une marche militaire infernale. Je tourne. Contourne. Pas de lumières pour me guider. Je regarde le ciel, je ne vois rien. Les toits se courbent et se plient au-dessus de la ruelle où je marche pour m’enfermer, pressant doucement la mâchoire de la nuit sur moi. L’air se fait lourd. Ma respiration est saccadée, relâchant des volutes pressées de disparaître dans l’obscurité. Mon regard ne se détache pas de l’avant. J’entend un bruit. Pas de questions. J’accélère. J’entend des bribes de voix. Enfin. Des fragments de vie s’amènent doucement jusqu’à moi. Les lumières orangées dansent faiblement loin devant moi. Les ombres apparaissent, se déforment et dansent sur les pavés. Je passe rapidement devant quelques échoppes ouvertes tard le soir. La pression monte rapidement jusqu’à ce que je m’arrête. Je ne sais plus où je suis. Je ne connais pas assez cette ville. Inanimée et rassurante le jour, elle semble se refermer malicieusement sur moi. Tout s’embrouille. Les rues semblent se répéter. Les murs se distordent. Les voix s’éloignent. La lumière dorée de l’homme s’efface. Je ne suis pas dans la bonne direction.
Je perds mes esprits, doucement. Ma raison lâche peu à peu les rênes de mes pensées qui affluent dans un fracas torrentiel. Ma vision se trouble. Mon souffle est court. La douleur dans mes pieds disparaît. Je ne sais pas où je vais. Je ne sais plus où je suis. Je marche. Non. Je cours. Rapide. Effréné.
Puis je m’arrête. Et je la vois, dans l’interstice dégagée d’un toit abîmé. Les nuages d’une nuit pluvieuse dévoilent sa pâle nudité dans un ciel d’onyx. Son éclat argenté illuminant doucement le sol, faisant briller les pavés humides. Mes pensées se calment doucement. Mon corps revient à mon contrôle. Je prend une profonde inspiration. Je suis ce fil d’argent dans l’espoir qu’il me guidera hors du labyrinthe, loin des entrailles sinueuses de la Bête. Peu à peu, les déformations sombres des stigmates de l’homme sur le monde se révèlent sous le voile maternel de la demoiselle pâle. Les rues se figent et se précisent. Les toits s’ouvrent à moi et la dévoile dans toute son immense splendeur. Douce. Incomplète. Majestueuse. Protectrice. Peut-être qu’elle me guide, ou que mon instinct me revient, mais je retrouve mon chemin. Au détour d’une rue, le grand bâtiment de la gare s’ouvre à moi avec ses multiples fenêtres d’où filtre une lumière ocre, véritable panacée pour mon inquiétude d’humain solitaire.
Je jette un dernier regard vers les cieux, mais elle a déjà disparu sous sa couverture de coton. Je remercie ce guide invisible, puis je m’empresse de rentrer dans le train, loin des lumières trompeuses et des détours impitoyables des Villes.