Il est sept heures, Papa claque le coffre, tourne la clef. Je me cale à l’arrière près de la fenêtre, la petite au milieu finit sa nuit (tout à l’heure, chantera à tue-tête), le moyen de l’autre côté lit des bédés. Je regarde dehors, baladeur sur les oreilles tout le long du trajet. Ça va trop vite sur l’autoroute, j’ai mal au coeur, peur qu’on s’encastre, sommeil pour fuir, ou pour rêver. Après des kilomètres, quatre cent vingt-sept, l’odeur de bouse indique que nous approchons. Blague du moyen qui dit à la volée que nous aurions pu nous retenir, et ça le fait rire – à chaque fois la même facétie… et nous rions avec lui, et nous levons les yeux au ciel. Senteur de terre, d’herbe mâchée, signal délicieux de l’arrivée : vaches dans les champs, blés foisonnants, course folle des nuages, un peu de pluie parfois, parfois un soleil blond le long des arbres qui font des ombres sur la campagne – traversée des villages, maisons à colombages, murs blanchis à la chaux, volets bleus, hortensias. Au rond-point – mairie, église, grande halle, place du marché – nous sortons tout droit direct vers chez Tatie Mouchette qui nous attend pour l’apéritif, avec tout un tas de trucs à boire, des jus et des alcools sans alcool pour les enfants et tout plein de cacahuètes et de biscuits secs dans des boîtes en plastique compartimentées, avec quatre casiers, et ça j’aime bien, quand il y a le choix. Tchin avec les cousines : c’est un peu court pour tout se raconter, rendez-vous pris l’après-midi, faire un tour dans le bourg, bonbecs à l’épicerie et s’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi, retour à la maison autour du téléphone pour les dédicaces musicales à la radio locale – ça commence à cinq heures – « Messages personnels », ça s’appelle. En attendant, midi et demi ! Nous filons chez Pépé et Mémé pour le déjeuner. C’est à deux pas, sur la route de Beau-Soleil. Maman nous laisse passer devant. Le moyen, la petite et moi prenons la tangente, courons dans la pente. Ouvrir la porte à grand fracas : « Mémé ! Pépé ! C’est nous ! C’est moi ! » On entre par le haut, chambre du nord à gauche, à droite les escaliers, le bois qui craque sous les pas, jusqu’à la grande cuisine qui donne sur la vallée, après la cour et le grand noisetier, plus loin le cheval dans le pré : – Bonjour ! – Bonjour qui ? – Bonjour Mémé ! – Bonjour Mémé qui ? – Bonjour Mémé chérie ! Et les bises claquent trois fois sur chaque joue – ça c’est Mémé. Pépé est aux lapins, ferme les clapiers, il va rentrer. Ça sent bon le poulet grillé et les pommes de terre sautées – far aux pruneaux dans le cellier.
Heureux rituel, ce rendu d’enfance où transpirent la joie et l’insouciance avec énumération de détails qui aussitôt font image. Partage de souvenirs commun, la boîte à compartiments et l’émission aussi. Merci, Claire.
Merci Anne, à nos souvenirs communs !