27 septembre 2019 – De l’autre côté mais pas ici, pas encore. Six heures de décalage horaire. Ce qui me laisse deux heures trente pour creuser le temps raviver le désir et la force d’écrire en berne depuis la rentrée à force de quotidien, sommes de choses à faire penser cuisiner dormir véhiculer covoiturer planifier organiser contester réveiller panser digérer programmer réparer soupirer souffler consoler… Les moustiques rôdent et il fait chaud. La houle s’est calmée. La route de la côte happée par les vagues et grignotée de roches de sable et d’écume depuis trois jours a été nettoyée. Elle a été réouverte à la circulation dans l’après-midi. Demain matin 27 septembre je ne ferai donc pas le grand tour pour aller à l’école et au lycée. Ce sera le dernier jour de la semaine. Un bon jour. Une matinée de cours dans le bruit des ventilateurs avant la fraicheur de la bibliothèque universitaire. Aucun système actif dans les airs. Faut que ça tienne jusqu’au retour de P. En attendant, il paraît que Jacques Chirac est mort. C’est une petite notification du Monde qui me l’a appris ce matin au réveil sur mon smartphone. Il ne l’était donc pas ? Encore un que je fais mourir deux fois. En tout cas, c’est bête, il a raté la date du 27 septembre. A un jour près.
27 septembre 1997 – Selon toute probabilité, je ferme à double tour la porte de ma chambre. Pas un bruit dans l’appartement obscur à temps plein. Pas étonnant. Les voisins se sont couchés tard. Je descends l’escalier après avoir veillé à ne pas faire claquer la porte d’entrée. Je ne suis pas rancunière. Je regarde le ciel comme chaque matin pour évaluer le temps qu’il fait : bleu ! Gagné ! Je respire profondément l’air matinal et remonte la rue de Verdun. Comme chaque matin j’espère que le grand vent du coin avant droit de la cathédrale va m’emporter dans son courant d’air fou ; si j’en crois la chevelure blanche ébouriffée et les paroles exaltées de mon prof d’anglais entre deux envolées shakespeariennes, ça devrait arriver. J’aime cette idée… Journée de cours passionnante comme d’habitude. Estelle m’a préparé quelques cassettes. Je les écouterai ce week-end ou dans le car sur le retour. Il parait que l’Apollo propose des entrées à 10 francs ! Du cinéma d’art et d’essai à 10 francs en version originale sous-titrée…Décidément, je ne me lasserai jamais de cette nouvelle vie. Reste à trouver le temps.
27 septembre 2004 – Encore troublée par la journée d’hier. N’arrive pas à me mettre au travail. Dans la tête se cogne l’image du père près du camion de pompier, livide, qui sait déjà que son fils est mort. Et sur le chemin les cent pas de la mère affolée au téléphone qui presse le SAMU de venir au secours de son enfant. Déjà mort. Elle ne le sait pas encore. Nous, nous venons de l’apprendre. Avant elle. Elle que nous saisissons là accrochée à ce moment où tout est encore possible. Pour elle seulement, déjà tellement seule. Elle ne nous voit pas. Sa douleur me colle déjà à la peau comme la moiteur de septembre malgré la fraicheur de la rivière. Ne suis pas à ce que je fais. Que sont-ils ce matin ? Je me fais un thé. Il y a d’abord eu ce cri en pleine nature dans les rires les conversations et les tambours. On y prête vaguement attention. Sans plus. Pourtant ce cri… La rumeur court aux abords des bassins, le long de la rivière. Un saut qui aurait mal tourné. On prête secours. On ne pense pas au pire alors que le pire s’est déjà installé. Les pompiers mettent du temps à venir, à descendre le sentier escarpé avec la civière. Pour remonter. Un temps interminable où le pire s’est installé. Mon thé est trop infusé. Ne suis pas à ce que je fais. A la radio, on annonce une onde tropicale. Je n’aurai pas d’enfant. Décidément.