27 septembre 1972
Dans quatre jours, j’aurai sept ans. L’âge de raison, disent mes parents. Je ne sais pas ce que cela veut dire et je ne le leur demande pas. Je n’ai pas envie de savoir, cela ne m’intéresse pas. J’aime quand c’est mon anniversaire. Ma maman achète un gâteau et je reçois des cadeaux. Je viens d’entrer en deuxième primaire. Je sais déjà lire. Peut-être vais-je recevoir un livre ? Que demander de plus ?
27 septembre 1983
L’année académique a débuté il y a une semaine. Je viens d’entamer des études de traduction. Avec les autres étudiants, je me sens enfin avec des pairs, ce qui n’avait jamais été le cas jusqu’alors. Dans le secondaire, j’ai toujours eu l’impression d’être sur une autre planète par rapport aux autres, aucune longueur d’onde commune ou presque. J’avais des amies bien sûr, mais je n’appartenais pas au groupe alors que le propre de l’adolescence est de vouloir appartenir au groupe, mais ce groupe-là, même si j’avais envie d’en faire partie, par pur conformisme adolescent et immature, au fond de moi, je n’avais rien de commun avec lui. Cette école de traduction, c’est un autre monde où les étudiants sont venus de leur plein gré, poussés par leur seule motivation et cela fait toute la différence. Je me sens à la maison.
27 septembre 2010
Une nouvelle semaine commence. Ma fille s’est envolée mercredi dernier pour le Canada. Vancouver, la côte ouest. On se rassure comme on peut, le Canada est un des pays où le taux de criminalité est le plus faible. Six mois, ça va, ce n’est pas trop long. Et puis il y a Skype. Toute la symbolique de l’envolée du nid, fût-elle provisoire, est déjà là : prendre son envol, prendre l’avion pour aller loin, vers d’autres cieux, d’autres horizons. Notre plus jeune n’a que quatorze ans. Et je lui ai dit, pour le taquiner, que pendant ces six prochains mois, toute notre attention allait se reporter exclusivement sur lui.
27 septembre 2018
Baltimore, USA, La Quinta Hotel, à quelques blocs du cimetière où repose Edgar Allan Poe. C’est pour lui que nous sommes ici, mon frère et moi. Nous sommes arrivés avant hier de New York par le mythique bus Greyhound. Qui n’a pas rêvé de parcourir les USA en bus Greyhound ? Et voilà qu’un rêve s’est réalisé. Un rêve dans le rêve car ce premier voyage aux USA est un rêve devenu réalité. Hier, nous avons vu la tombe de Poe, qui se trouve être aussi celle de sa femme et de sa tante, nous avons sillonné le cimetière et nous sommes plongés une bonne heure durant dans cette vieille Amérique. Des notables du cru, des généraux, des familles sont enterrés là dont une mère qui avait perdu tous ses enfants, un îlot dans cette ville un peu quelconque. Nous avons visité la maison où il a vécu de 1833 à 1835 et qui est devenue un musée en 1949, nouvelle plongée dans le 19e siècle, quelques objets lui ayant appartenu et la chambre sous les combles où il a peut-être dormi, simple, dépouillée, émouvante. Déjeuner dans un resto sur le port intérieur où nous projetions de nous balader ensuite. A peine entrés, il s’est mis à pleuvoir. Et il a plu tout le reste de l’après-midi. Nous sommes restés dans le resto à discuter du vieux cinéma d’Hollywood avec Mark, le sympathique serveur et les bières et les quarts de rouge ont défilé. On s’est pris en photo. On devait envoyer les photos à Mark et quand j’ai voulu le faire, le soir même, l’e-mail ne passait pas, message d’erreur en retour. A-t-il donné une fausse adresse ? Ai-je mal recopié l’adresse ? N’étaient les photos, on pourrait presque douter de la réalité de cette rencontre, de cette après-midi même du 27 septembre 2018 passée à discuter du vieux cinéma hollywoodien avec Mark, le serveur d’un resto sur le port de plaisance de Baltimore, Maryland. Rencontre qu’on aurait inutilement aimé prolonger par des mails alors que c’est précisément sa nature éphémère qui la rend singulière et mémorable.
Demain, nous prenons le train pour Providence, Rhode Island pour rendre rencontrer Howard Phillips Lovecraft.