Vendredi. S’il y a toujours un 27 septembre, la roue du temps fait qu’il n’est jamais le même jour, même dans le calendrier julien année bissextile comprise, seulement un chiffre et un mois dans la spirale du temps et de l’espace, dans cette chute sans fin de l’être et du vivant. Ce jour reviendrait-il, la mémoire de ce jour serait-elle infaillible, rien ne dit pour autant qu’en septembre, le 27, son geste serait celui-là même qu’il a fait il y a un, dix, cent ans, ne pouvant l’être puisque le 27 septembre d’aujourd’hui n’est même pas le même jour d’il y a un, dix, cent ans. Déjà la date est dans un porte-à-faux, la spirale disais-je, et ce flou de mémoire de moi-même, du lieu, du temps, de l’heure, du soupir. L’inconstance. L’inexistence. Pourtant, il se réveille peu avant l’aube comme bien d’autres 27 septembre et lave son visage à l’eau claire. Et comme d’autres 27 septembre encore, il attend, à l’écoute, ce que la nuit dit encore au jour et s’unit à ce flux qu’il aime à croire éternel et qui l’emporte, lui avec le vent, lui avec les étoiles, lui avec le bruissement des feuilles dans les arbres, quelques miaulements, un cri de mouette, une lumière qu’on allume dans une salle de bains, le tintement des tasses. Il a chaque fois du mal à agripper cet instant minimal où il se sent si pauvre et si fort dans son néant qui, cependant, l’éloigne de toute solitude. Il n’y a pas eu que des cris de mouettes dans ses aubes de 27 septembre et s’il ne regardait, ah! regarder, que dix ans en arrière, il y aurait eu des pinsons à sa fenêtre, l’air vif sur ses joues, la traversée silencieuse de la ville, les premiers bonjours, timides et encore lourds de sommeil. Mais toujours ce lien imperceptible entre lui et ce reste qui vit avec soi, à tes côtés, conscient que tu ne peux en faire à ta guise, que justement ta conscience, ou ce qui est tel, retient quelques instants tes pas sur l’étendue du monde. Prévoir déjà la suite et garder sous l’œil le présent: être frais de douche, le café, une tranche de pain, la chemise ou le pull, les plantes en vase, les cartouches d’encre pour l’imprimante, le schéma du cours que tu suivras jusqu’à un certain point comme d’habitude, les mots imparfaits, l’absence de son corps, le livre à finir pour la rencontre littéraire de demain soir, acheter une bouteille de vin et ne pas oublier la facture d’électricité. Les 27 septembre d’avant n’étaient peut-être pas si différents, les livres, les mots, le corps absent et la facture d’électricité, sans médicaments ni plantes à arroser. L’extraordinaire de ta vie est ce jour-même, cette aube, les nuages d’équinoxe incertain, le cri des mouettes et toute cette stratification d’autres 27 septembre oubliés, enfuis. Qu’importe. As-tu vraiment voulu retenir un jour? Tu as toujours eu l’instinct de l’instant. Si maladroit pourtant. Tu as toujours su le vivre dans tout son espace, sa fragrance, le soyeux de son toucher tandis qu’il allait. Alors, il te reste son premier regard, la pluie dans la cour d’école, toi assis sur un banc droit devant le tableau, la page qu’on tourne d’un dictionnaire ou l’attente dans le couloir, puis un trottoir, une voix, le doigt qui appuie pour appeler un ascenseur, un ticket poinçonné, l’élève réticent, la cuillère dans la tasse de café, sa main dans la tienne, un feu rouge, le vent dans les feuilles, une flaque, un baiser, le sens du devoir, la hâte de la fin de l’heure, le silence, la lente montée vers les collines à travers le cañon traversé d’un pont romain, ces gris et ces verts intenses, le rai de lumière entre les nuages, sa voix et toi qui écoutes Lay your head down, Nightmind ou, maintenant, la « traccia 9 » du dernier Leonard Cohen, plongeant dans les voyages de ces musiques qui accompagnent ton cœur. Vers elle. Et tes pleurs et les regrets impossibles à avoir. 27 septembre. Un lieu. Il se souvient que c’était le nom d’une rue, alors qu’il était à la recherche en cette terre inconnue d’un parfum, d’un goût, d’un moelleux qui lui rappelât le pays d’où il venait. Il le trouva rue du 27 septembre, était-ce bien ce chiffre impair ? Tu connaissais encore si mal l’histoire de ce pays qui était pour toi la ville entière. Il le trouva, ce réconfort, cette paix domestique, dans un croissant brioché « crema e amarena », tiède, généreux, dont la maternité effaça d’un trait l’aliénantion du lieu encore étrange. Il fut un avec la lumière et le dallage de lave noire, désormais chez lui, un avec les rues, les murs. Peu avant, le 19, il s’était trouvé au milieu de la foule dans le grand édifice de la cathédrale, enveloppé des murmures et des prières, lui-même flux avec le flux des voix insistantes, répétées, obsédantes, dirigées vers l’ampoule agitée avec un rythme lent, cette obsédante hypnose du geste et des mots, sang des hommes, sang de la terre, sang du ciel, unité vibrante, profonde, chtonienne du créé, que l’annonce du miracle ne fit cesser, pas encore. Il fallait encore accompagner la réconciliation de la terre et des mondes célestes, porter à son terme les instants terribles du jugement et de l’oubli, l’oubli nécessaire, vital, existentiel. Pris lui aussi dans le mouvement éternel du créé des hommes et du ciel, ce jour de septembre à Naples. Combien d’autres encore? Dix? Vingt? Plus? Les gestes sont-ils vraiment ceux de ce jour-là, précis, autres. Les mêmes et tout autant différents. Désormais étrangers à l’être que tu n’es plus, mort déjà, dix, vingt fois ou plus. Glisser encore sur les notes du temps et jouir du jour. Les lumières du soir tombent sur ce 27 septembre. Les mauvais mots s’éparpillent atour du 27 septembre, tout comme ces labyrinthes d’intentions à bas coups. D’aucuns font tomber des têtes, certains s’imaginent être victimes, d’autres encore se croient des rois sur un trône désormais remisé en soupente. Que penser ? Que dire de ces jours de chiffons agités dans le vent ? Cris muets ? Prières volages pour des larmes tombées du ciel ? Je m’assois dans le silence, baisse la tête, écoute tes mots. Ton 27 septembre qui devient le mien sans vraiment savoir ce qu’il est advenu, si nous sommes encore là.
C’est vraiment très beau ce qui découle de la voix du 27 septembre. C’est tout a fait ce que j’aime un point de vue objectif: le 27 septembre et ses manifestations. Mémoire et oubli nous avons vécu des 27 septembre, en vivrons nous d’autres et si oui qu’auront-ils a nous dire.
L’énigme du jour et du temps de l’individu.
Merci beaucoup pour votre passage, votre lecture et vis mots.
C’est somptueux, énigmatique et savant mélange d’éthéré et de présence au monde sensuelle. Je me suis trouvée constamment entre ces 2 extrêmes. Riche de trouvailles en plus. Merci
Merci beaucoup pour votre lecture et contente de vous avoir ‘inspirée’.