27, déchiffrements et insomnie

27 septembre 2019
3h42

27 soit par réduction théosophique, 2+ 7= 9, comme le mois de septembre. Mais comme L’Hermite aussi , ce bon vieux sur la route avec sa houppelande, sa LANTERNE et son bâton, marchant vers la gauche, vers le passé, vers le féminin, s’enfonçant dans l’obscur, heureusement qu’il a une LANTERNE parce qu’à cette heure c’est nuit noire, nuit sur insomnie, d’où vient l’insomnie ? de ce qui reste suspendu ? de qui ne peut descendre de sa roue, mon brave hamster ? des pensées comme des mouches, agaçantes, récurrentes, attirées par le suc de la peau, le sodium dont elles se nourrissent, de quoi se nourrissent les pensées ou plutôt ces bribes morcelées de pensées, répétitive et incomplètes, répétitives car incomplètes ?
La chatte est venue voir de quoi il retournait à une heure pareille, qu’est-ce que j’ai à LANTERNER comme ça, hormis le rêve, pas grand-chose de palpable et du rêve, toujours la même histoire de grands bâtiments mal définis dans leur fonction – maisons, hôtels, palaces, friches industrielles, ruines habitées, éclairées à la LANTERNE, tout ce qui est grand et où je me perds sans vraiment d’angoisse mais où j’aimerai pouvoir retrouver mon chemin d’une pièce à l’autre et pas de petits cailloux ni d’Ariane attentive pour rebrousser chemin, retourner en arrière, comme l’Hermite qui avance en arrière, faut-il avancer en arrière ? Boule chaude et douce lovée au creux de mes cuisses, accointance poilue et ronronnante, la nuit tous les chats sont gris et elle aussi : de son géniteur elle a pris le poil abondant, long et fournis ce qui occasionne de nombreux nœuds, bourres où se sont accrochées les graines des graminées, petites planètes hérissées, pensées pour migrer, se replanter ailleurs, même en LANTERNANT. Sa mère était noire, presque entièrement noire, Miss Marple de son nom, à l’exception de quelques traces ici et là de poils blancs, égarés cachés sous sa fourrure de loutre. Il paraît que les chats entièrement noirs sont devenus extrêmement rares, décimés lors de la chasse aux sorcières pour leur diablerie supposée, leur gène s’est perdu d’où les traces de blancs ici et là – ce qui aujourd’hui les sauveraient du bûcher ? Miss Marple donc, au regard plus jaune que vert, vive et parfois un peu sauvage, mère d’une portée de cinq chats, morte depuis, trop malade des reins pour guérir, piquée à domicile et enterrée dans le jardin sous le lilas. C’est une étrange douleur que celle du deuil d’un animal, on a l’air ridicule à pleurer ainsi, cette tristesse à la voir décliner, cette tristesse à se résigner à devoir provoquer la fin, la nuit de veille après avoir pris rendez-vous avec le vétérinaire, cette insupportable nuit de veille, le décompte du temps qui avançait, ni à l’envers ni à l’endroit, un temps hors du temps, inéluctable, vers cette décision. J’ai jeté le chemisier que je portais ce matin-là, le chemisier contre lequel j’ai soulevé son corps tiède aux poils encore doux quoique devenus rêches dans sa lutte avec la fièvre, sa gueule ouverte et ses yeux mi-clos, si maigre et pourtant si lourde de son immobilité, le chemisier où je l’ai bercé un instant, incrédule, avant de la porter dans le jardin, vers le trou creusé la veille, un trou rond et profond, la pelle fichée en terre à côté.
J’ai jeté le chemisier et longtemps ensuite j’ai cru la surprendre au détour des pièces et des massifs du jardin.
La terre fraîche est peu à peu retournée l’année suivante à l’herbe folle, graminées diverses ; ce n’est pas une tombe, c’est une dernière cachette pour celle qui savait si bien le faire : se cacher, se dissimuler, aux aguets sous une fausse nonchalance.
De ce que nos animaux familiers portent de nous et de ce qu’ils emportent ensuite, de ce qu’ils nous apprennent, de ce qu’ils apprivoisent de notre regard, le rendant plus attentif ensuite au dehors, à débusquer les mouvements de vie, des sentes qu’ils tracent dans notre quotidien, des repères qu’ils y laissent, voilà qui mériterait que l’on s’y penche sans mièvrerie mais avec reconnaissance.
Et voici donc ce que l’Hermite du 27 éclairait cette nuit avec sa LANTERNE, nuit sur nuit, noir sur noir, le souvenir en creux porté par la grise qui a quitté mes genoux, mission accomplie. Il est peut-être temps d’essayer de retrouver le sommeil, de cesser de LANTERNER.


19h07

J’ai vu, couchée sur le flanc dans la luisance du lampadaire et du goudron mouillé de 7h du matin, une chatte grise et poilue étrangement ressemblante à la mienne. Évidemment morte.
J’ai vu le gros des nuages gris en train de se disloquer sous les boutoirs du vent d’ouest là-bas, là où la clarté montait au bout de la route qu’éclairait les phares.
J’ai vu le fleuve transformé en mer, de courtes vagues écumeuses formées par le vent contraire à son cours.
J’ai vu trois hommes sur le chantier, à peine la cigarette jetée, s’accroupir ensemble les pieds dans la boue pour soulever deux énormes caisses enveloppées de bleu.
J’ai vu le regard jaune et la pupille rétractile de l’oiseau posé sur ma main qui m’écoutait attentivement, les plumes légèrement ébouriffées. On se regarde.
J’ai vu le regard pétillant d’Alice qui vient de Brest, ses piercings multiples aux oreilles, plonger avec gourmandise vers l’écriture. Elle me fait penser à ma nièce.
J’ai vu dans le grand champ en pente sur le bord de la route un troupeau de vaches blanches, toutes tournées dans le même sens, debout, immobiles et attentives. Ce n’est pas la première fois et je ne sais toujours pas ce qui provoque cette attitude.

J’ai roulé des kilomètres sous la pluie, sans la pluie, – l’essuie-glace arrière est cassé – la voiture déportée par de soudaines rafales.
J’ai parlé lors des trois TDs, de ce que ça fait d’entrer dans un livre qu’on a choisi, de cette sensation particulière d’être entrainé plus ou moins vite, plus ou moins lourdement ou légèrement, de comment traduire ça au-delà du suspens, comment cette écriture-là – tempo, éploiement de la langue – les cueille, et entrer dans le livre c’est comme entrer dans quoi ? J’ai écouté quelques textes ensuite, j’ai entendu un garçon qui savait écrire et qui ne le savait pas.
J’ai essayé les robes de star que m’a donné F., l’une en soie noir l’autre en velours violine, la très grande sensualité des matières sur la peau, le confort qu’apporte une coupe de marque. Il y a de plus en plus de vêtements échangés, donnés, chinés au dépôt-vente dans mon armoire, mais ce n’est pas suffisant pour ralentir le délire de production, cette deuxième cause de pollution qu’est l’industrie du vêtement, après le pétrole.

J’ai entendu, brièvement en baissant ma vitre au péage, un chant éclatant de clarté, tonique et liquide. Un oiseau dans l’aube à peine. Le cœur enchanté et serré tout à la fois. Combien d’aubes encore avant que seul le silence réponde à l’éveil des hommes ?

« (…) l’émotion la mieux partagée : celle qui vient de la raréfaction du chant des oiseaux, et du trouble quant à ce qu’il en est alors de toute notre vie sensible et des repères les plus ordinaires de notre rapport au monde naturel. Le printemps s’est tu, quelque chose de très familier nous est progressivement retiré, quelque chose d’enveloppant et d’immémorial, la preuve et la célébration habituelle du monde, cet accès toujours chantant à l’intensité du vivant qui nous, nous semble venir, joyeusement, des oiseaux. »
Marielle Macé, Nos cabanes, Verdier 2019


23h53

27 un chiffre à décrypter comme une énigme, le mécanisme délicat d’une serrure, deux cailloux jetés dans l’eau dont les orbes seraient les augures, revenir aux cartes puisqu’elles contiennent les mystères.
Deux, la Papesse sur son trône voilé, couronnée d’une tiare à trois niveaux, le regard tourné vers la gauche, couverte d’un long manteau rouge et bleu, sur ses genoux, un épais livre ouvert qu’elle ne lit pas mais où ses mains glissées pourraient en retenir la page si elle le refermait, si elle se levait ; une papesse qui lit en levant la tête, une qui pense et rêve un peu sans doute, une qui a peut-être une crampe à force d’être ainsi tournée vers son avers ; la papesse, femme retirée du monde, femme de connaissance, si peu de chair découverte, en toute sagesse.
Et le sept, le glorieux Chariot où figure, encadré par les montants de la carriole, un personnage couronné, – un jeune prince ? -, son armure aux épaules ornées de deux figures lunaires, il porte dans sa main gauche un long sceptre ouvragé ; les deux chevaux qui le tirent vont chacun dans un sens différent, à croire qu’ils vont démantibuler le charroi, heureusement, ils regardent au moins dans le même sens. L’une des forces du Chariot est d’avoir su surmonter ses contradictions. Deux et dualité, sept et spiritualité.
Quelle mayonnaise, tu te souviens du temps où tu te penchais si régulièrement sur ces signes, chaque jour une carte et aujourd’hui tu peines à te souvenir des vingt-deux arcanes majeurs, mais tu aimes toujours ce si joli mot « arcane », tu y entraperçois les colonnades d’un cloître, le creux d’un silence vivant et habité, tout de frémissements et d’attente, quelque chose advient.
27, un âge, le compte rond d’un cycle de trois fois neuf, 27 ans, l’année de Jabès et de ses commentaires – comment taire en effet ? ça finit toujours par sourdre, d’écho en écho -, l’année de Ménilmontant.
27, une adresse, au 27 eau et gaz à tous les étages, passe donc au 27 !
27, un record, 27 secondes sans dixième, la course est remportée par.
27, un nombre d’invités – il y faudra une grande salle ou un grand jardin tout dépend des circonstances de la réunion et de la saison. 27 très exactement l’an dernier à ton demi-siècle.
27, un nombre d’élèves répondant présent à l’appel, si non, coché absent dans la case.
27, un nombre de mois ou d’année de captivité, combien de temps Monte Cristo ? 14.
27, le nombre de tes robes, été – hiver confondus et demis saisons par-dessus, ça se pourrait bien.
27, une distance, à 27 kilomètres d’ici ? Tracer un cercle au compas de 27 kilomètre autour de soi, en relevé la toponymie et sur 27 jours en visiter les 27 points.
27, la ligne régionale qui relie Marseille-Castellane via Gréoux-les-bains. Etre allée deux fois à Marseille, tu n’avais pas 27 ans et ce n’était pas en septembre.
27, un écran 27 pouces, soit très exactement 68,5 cm. Le mien, tiens.
27, la vingt-septième lune de Jupiter se nomme Sinopé, du nom d’une nymphe grec enlevée par Zeus. Lorsqu’il lui demanda quel était son souhait avant de la prendre, elle lui répondit qu’elle voulait rester vierge. Maligne Sinopé.

Il est déjà minuit passé, pour le 27 septembre de cette année, c’est terminé.

A propos de #pomme

Dans la dite « vraie vie », #pomme a pratiqué : des chronique web, de la médiation de rencontres littéraires a longtemps animé des ateliers d’écriture, le fait encore parfois dans d’autres vies elle a été lectrice en maison d’édition, pigiste, « rewritingueuse », coordinatrice d’évènements littéraires ou culturels, a même bossé dans la com’ elle intervient de plus en plus dans l’enseignement dit supérieur, pour accompagner la pratique de l’écriture et/ou la lecture de textes littéraires

4 commentaires à propos de “27, déchiffrements et insomnie”

  1. ouf – que de sensations de facettes, comme dans la vie
    avec une préférence pour la série des « j’ai vu »..

  2. 27 fois envoûtée par cette écriture qui mène 27 rondes au moins : celles des chats, des gris, des poils, des 27 avec inventaire borgésien (journal implacable). j’aime ces entrelacs de langage : la lanterne, le chat, les tarots, l’hermite.