Tout est aujourd’hui et rien n’y colle. Souvenirs, temps qui passe. Le vent plus froid, soleil soudainement dans les yeux, le pare brise de la voiture soudainement plus sale. L’école est partout. Je vogue mollement. L’odeur de bouche que dégage mon père me fait penser à une salle de sport, bruyante. Le repos sur le ventre doux de ma mère, la course autour de la table avec ma soeur, son corps si fort. Le chien habite avec nous, sauf le soir, je l’entends qui appel sa famille certaines nuits.
Journée de l’entre deux. Seizième jour d’école, l’année entière s’annonce, dans le cahier vert, le bleu et celui à petits carreaux. Dernières chaleurs de l’été dans le très sec de ma chambre. Le sommeil va mettre du temps a arriver, j’aimerais tant pouvoir attendre calmement la nuit comme avant. Je pense à l’école. J’ouvre délicatement la porte de mon placard, je fouille rarement là-dedans, je ne connais pas bien le contenu de mes boites. Dans l’une d’elles, il y a une carte avec un petit poussin habillé en baskets et avec un imperméable jaune. Sous la photo, la légende parle d’un départ dans la vie. Une personne qui m’est totalement inconnue, une femme, m’écrit en deux petites phrases sensiblement la même chose que la légende de la carte. Je m’autorise alors à pleurer. Je fais l’adulte qui pleure le temps passé, celui qui ne reviendra pas.
Rayon de lumière jaune cuisant l’espace entre la porte et la moquette. Belle journée en vue. Je compte jusqu’à sept dans ma tête. Dernier moment que j’arrache à la nuit. J’ai faim. Je sens une force physique nouvelle. De petits muscles sur les cuisses me font me comparer aux hommes des publicités. C’est mercredi, j’aime trainer. Je rentre dans mes rêveries comme on chante le refrain d’une chanson. Il y est question d’un accident de la route monstre, dans une des rues principales de la ville. Face au désastre la municipalité préfère fermer la rue définitivement et laisser la situation se régler d’elle-même. On peut entendre aux alentours le chant très suave, de la très lente agonie.
Le réveil comme une prolongation du coucher. Je ne pense qu’à elle. Je vis au ralenti, je ne vis presque plus. J’en viens par crises successives à regretter mes sentiments, tout le temps que je lui ai donné. Elle ignore tout. Que restera t-il de tout ça dans dix ans? Tout est sans saveur, je sais déjà que je suis marqué pour toujours.
Du haut de ce cinquième étage surplombant le lit de la mer, je regarde les oiseaux décollés par une fenêtre inouvrable. Je n’avais jamais remarqué, ne me levant jamais si tôt, qu’une brume pouvait avoir des teintes bleu. Je matérialise un fusil avec mes deux bras.En calculant la force du vent et en prenant en compte la distance et la vitesse, je tue à tour de bras. J’imagine les projections intimes de sang, les oiseaux qui s’écrasent dans l’eau comme des avions à Pearl Harbour. Le bruit régulier de la soufflerie, lorsque le silence règne profondément, tonne dans sa blancheur, d’une multitude de petits bruits, de minuscules cris. Sous le lino tiède mes pieds font des sons de semelle qui colle. Le bras droit mi-haut j’essaie d’arpenter d’une manière originale cette pièce aux dimensions classiques. Des ombres claires jonchent le sol, se rapprochent de moi. Il n’y a presque plus le temps pour les petites histoires, le temps passe vite, les journées s’effondrent les unes sur les autres. Je regarde avec dégoût le sang reflué dans le tuyau, je m’invente des douleurs supplémentaires. Le lino usé aux coins des portes est un indicateur du temps qui passe très convainquant.
Levé de très bonne heure, j’ai tout le temps devant moi.
Une infinie douceur dans ce texte qui nous emmène loin, nous aussi, vers les odeurs d’enfance, les couleurs et les lumières arides…
merci pour cette douceur (on en a tant besoin…)