27-09-2019-2009-1999

La matraque sous le cou. Son pote, étranglé. — Ta gueule! Bouge pas! Peau rougie. Veines. Il est parti en vrille. A foncé dans le gros. Chuté, redressé. A couru dans la nuit, vent de face. Ses affaires à l’oubli. Sa moto en plan. L’autre derrière, avec les menottes. Sprinter grotesque. Rien qu’un bus vide et lumineux sur le cours. Eux, sous les marronniers d’une contre-allée. A bout de souffle.
Elle braille. Le grand chevelu K.O., du sang autour des lèvres, du sang sur les fringues. Tout le monde retient tout le monde. Empoigne les tissus. Les regards voilés. Cercles. Un gringalet, survet trop grand, à l’écart. Hors-jeu. Déplacements. Logorrhées. Tombereaux. Ça va trop vite. « Les schmits arrivent !  » Ils foutent le camp.
Pourquoi, il s’est barré ? Pas le goût. Un musée! Manquerait plus que ça ! Pourquoi? Il ne sais pas.
Ils ont foutu une poutrelle en travers des rails. S’en est fallu de peu. Je te dis pas le grincement. Le freinage d’urgence. Étincelles, poussière, fumée.
Les jeux gonflables à la fête du quartier. Les grands l’ont chauffé comme d’habitude. Emballement, excitation : il a hurlé n’importe quoi. Les mots présents. Il a rebondi au sommet du château rose et jaune. Élan irréfléchi. Corps sans muscle. A basculé en arrière. Atterri à plat sur le dos. Choc.
Elle dessine, dessine. Des têtes et des chiens. C’est plus fort qu’elle. Rien ne passe. Absence de faim. Dégoût qui envahit tout. Sa mère dans l’encadrement. — Arrête ton cinéma. Elle dessine comme ça vient sur des feuillets. Des têtes de manga qui regardent ailleurs.
Elle a fait le mur. Galopé dans la ruelle jusqu’au square où personne ne viendra jamais les chercher. L’autre abruti dans son bureau préfère remplir une déclaration de fugue et passer la soirée peinard. Ils ont fumé un joint en se sautant dessus comme des chiots joueurs. Elle était perchée debout sur un éléphant rouge et vert à ressort. Elle s’est raccrochée comme elle a pu dans son déséquilibre. Les lunettes ont volé. Aussitôt la semelle d’une TN a broyé les verres et plié les montures. Le flou, maintenant.
Il regrette. Engourdi. Les mouvements empêchés. Mal au cœur aussi. Ils l’ont soulevé à trois et balancé dans le coffre. Il s’est à moitié laissé faire. Fumée et musique traversent les banquettes. Les autres secouent la plage-arrière pour le faire virer. Hurlements. Vitesse. Où on va? Il regrette d’avoir asticoté les grands, d’avoir cherché leur attention par la provoc. Ils ne savent pas s’arrêter. Lui non plus.
Qu’est-ce qu’elle lui a dit? Elle a oublié les mots. Elle a retenu l’ombre sur son visage. Elle s’est éloignée. Elle s’est mise dans son coin. Dans sa veste. Dans sa capuche.
Pas envie. Parce qu’il est parti. Elle se mobilise. Elle reprend contact. Elle cherche.
Colère revient, remonte, rejoue, revoit, refait violences, répète les mots, martelle, met en attente, n’a de réponse, colère morcelle, brise, liquéfie, tue, souffle sur braises, insiste, tord ventre, coupe court, n’a de cesse, colère, colère, colère, crispe, casse, force, empêche. affame.
On a trouvé d’un loup le cadavre sur l’autoroute. Ça veut dire qu’ils traversent cette zone pour passer d’un massif à l’autre: par les bois, par les champs au bout des jardins des pavillons périurbains.
Pourquoi il aboie? Roquet dans l’impasse. De l’autre côté de la haie. Il appelle? Il est seul?
Il remonte la ligne à haute tension jusqu’au barrage. Note des points d’usure aux pylônes, avec méthode. Se concentre. Rien que le bruit des pâles dans l’habitacle.
Nuages s’effilochent. Volée d’hirondelles envahit la vue. Montagnes réfléchissent l’aurore.
Tu ne te rappelles pas. La musique emmène trop loin. Tu passes par des chutes de bois. Vers les hauteurs. Tu passes par des névés juste après la crête. Par les zones d’ombre. Tu sors. Qu’est-ce que tu vas perdre? Tu dévales des prairies. Tu traverses. Sur le pont métallique. C’est la saison des inondations. Le bourbier. Le brouillard. Tu sors. Vitres ouvertes. Trop d’air. Chorégraphie d’une tête brûlée. La nuit, l’électrolyse en cours. La nuit qui rameute. La nuit qui ventile. Moteurs rugissent. Pneus crissent. Lampes taillent dans la noirceur. Tu sors de ta réserve. A des kilomètres. Loin. Trop loin. La rythmique. La mélodie. Immobile, l’animal. Tous ces fluides qu’on canalise. Sans fuite. Tous ces panaches. Le cœur tient bon. Qu’est-ce que tu peux faire? Rouleau-compresseur va de l’avant. Tu dévides des rêves. C’est l’allégresse. Tu dévies des inepties. Travail de nuit. De sape. Soulèvement des lourdeurs.

A propos de Antoine Gentil

Enseignant spécialisé auprès d'adolescents en ruptures sociales. Anime des ateliers, écrit du théâtre et des textes de chanson.