Il n’y avait pas d’électricité.
Aussi fut-ce à la lueur pâle d’une bougie.
Que je lus, inséré dans mon lit,
ce qu’il y avait à lire à portée de la main :
la Bible en portugais (curieux !) à l’attention des protestants.
Et je lus la première Epitre aux Corinthiens. […]
Je ne suis rien…
Je suis une fiction…
Qu’attendre de moi ou du reste de ce monde ?
« Si je n’avais la charité » […]
Et dire, Mon Dieu que […]
FERNANDO PESSOA – POESIES D’ALVARO DE CAMPOS
LE GARDEUR DE TROUPEAUX
Tu lances ton Tweet et tu laisses tourner dans la babasse… Souvent ça tourne court. Parfois, rarement tu devrais dire, tu fais un micro Buzz et tu ne comprends pas toujours pourquoi… Tu vois ceux celles qui veulent qu’on les suive, qui encouragent à cela, qui cherchent à fidéliser leur lectorat. Veux-tu tu crois cela ? C’est la jungle et au plus clinquant, collant , comme les rubans de papier-mouche.Certains sujets sont viraux mais ne supportent pas de longs commentaires, l’adhésion ou la réprobation courtes suffisent : des coeurs ou des pouces selon l’hébergeur, et le peuple jaune des émoticônes , les gift font rire ou irritent fortement ce sont les graffitis du Net. Le moindre passage suffit et il nourrit les statistiques. Les statistiques c’est du pognon pour les proprios de réseaux. Tout se vend même ton temps de « cerveau disponible ». Des empires se constituent grâce à tes petites manies compulsives sur les touches de ton clavier ou de ton portable connecté. Tu es aux prises avec les effets exponentiels de ce nouveau comportement humain en lien avec l’extension du Numérique. Tu n’es plus qu’un numéro de terminal où tout commence : ton plaisir et ton addiction. Quand tu meurs, ça ne s’arrête même pas. Si tu n’as rien prévu , tes données vont tourner en orbite jusqu’à l’explosion des Big Data. Tu vas parler tout le reste de ta vie à la boîte noire, sauf si tu bazardes tout, mais les impôts t’en dissuaderont au pire ils te mettront sous curatelle pour que quelqu’un réponde à ta place. Tu vas répondre ou ne pas… à une multitude de sollicitations en provenance de lobbies puissants et devenir hypervisible à ton insu, de ton plein gré. Pucé.e, fiché.e, contrefiché.e ta vie sera un produit comme un autre, une ressource humaine anonymisée exploitable, corvéable. Le harcèlement publicitaire et communautaire pénètre déjà dans ta chambre à coucher, il te dit quoi boire, quoi manger, quoi lire, quoi penser , qui aimer, qui détester, de qui tu dois te méfier, il est insatiable, c’est le Monstre Machecroute goulu du Pont de la Guillotière … il est massif et persuasif, il est anihilant , il te bouffe, il te tire par l’oreille, te pousse aux fesses, te tire par les cheveux, te culpabilise, te responsabilise, ne te laisse aucun repos, aucun répit… Tu es cerné.e, même si tu fais le break de Compostelle , du Mont Athos ou dans la Grande Chartreuse, tu retrouveras dès ton retour la 5 G, la WI.FI.
Tu te rappelles des débuts, ce n’est pas si loin. Depuis vingt ans les technologies n’ont fait que progresser dans les interactions individuelles et collectives à l’échelle planétaire. La robotique a rapproché les gens selon des règles ultra-libérales, commerciales, codifiées, de plus en plus contrôlées. Une telle manne ne peut être laissée sans prédateurs et profiteurs, au féminin comprise. On vend son corps, ses exploits, ses performances, ses vieux vinyls, ses porte-clés, ses capsules de bière, ses kikis, ses goldoraks,ses habits neufs d’empereur ou d’impératrice, sa brocante et sa médiocrité sans complexes. On exhibe son chien, son chat, son gosse, sa bagnole,ses contorsions, son karaoké, son lifting et ses signes extérieurs de succés. Marché ouvert, marché plein-air, prime aux vols, à l’imposture, à l’enflure des mégalomanies.
De là où tu écris, tu observes les contrastes, tu ne bouges pas de ta place, tu n’utilises pas Tweet, tu es déjà dans la vieille barque des contributions Facebook, tu n’as pas besoin de passer à la vitesse supérieure pour savoir mieux t’exprimer ou t’abstenir. Tu dis ZUT ! à Machecroute . Tu te sens Saône plutôt que Rhône, tu te sens confluence et estuaire plutôt que source crachotante et polluante. Tu aspires à cela. Ralentir le truc. Regarder les gens passer en solo, en famille ou en bandes sur les quais aménagés, te saoûler de cette diversité de cet anonymat de ces bribes d’existence et puis rentrer chez toi, dans ton antre, ton encre virtuelle pour mieux savourer le fait de rester en vie au milieu des cables et des grains de sable dans les yeux. Ne pas… Préférer ne pas… Tweeter… Eviter la conjonctivite du harcelement numérique. Te regarder sourire dans le regard d’un.e Autre en chair et en os..
Juste colère Marie-Therese et j’ai envie de vous piquer le mot Machecroute pour me changer du mot makrout ou mâchicoulis. Merci pour cette pérégrination
Le Machecroute est à tout le monde, en ce moment il y en a une version genre création Play-Doh qui trempe dans le Rhône , à la hauteur du Pont de la Guillotière, un monstre apparemment gentil qui parle le soir aux passant.e.s, il a des ambitions écologiques et pédagogiques. Il a toute une histoire qui lui donne toute sa puissance métaphorique. Je l’ai aperçu, je ne suis pas allée l’écouter au milieu de la foule. Le monstre du Covid est encore là, à peu près sur tous les ponts Lyonnais. Heureusement la ville se vide un peu. Mais beaucoup ne partiront pas en vacances. La Méduse Internet leur tiendra peut-être compagnie. Je n’ai même pas besoin de me mettre en colère, ce que je constate, d’autres le constatent aussi… La question est simplement : Comment jouer avec le Monstre, comment se jouer du Monstre, comment éviter le Monstre…. Alors il nous faut des Démonstrations ! Merci pour passage. J’aime beaucout les makrouts mais trop caloriques, quant aux mâchicoulis, ça sent trop la réclusion et la ceinture de chasteté… Vive le grand air sans particules fines !
https://www.arte.tv/fr/videos/109474-002-A/machecroute-le-monstre-de-lyon/
On a beau se révolter, on est baigné dans les data…
Mais merci quand même pour ce refus de l’afflux de données !
Encore une fois, je constate ce tsunami d’informations avec le sentiment parfois désagréable de l’alimenter. La révolte c’est autre chose et c’est plus collectif, plus violent. Est-que vivre finalement , ce n’est pas saturer l’espace de l’autre et réciproquement ? Oui, on peut limiter les dégâts en prenant du recul , en coupant la connexion, en se recentrant sur l’espace concret autour de soi, en vieillissant beaucoup le font , je me demande ce qu’écrirait Brel à ce sujet aujourd’hui. https://www.youtube.com/watch?v=ltwbJBvGiIg
comme tu as raison ! nous sommes possédés, contaminés… c’est fichu, on ne reviendra jamais à l’état initial, c’est bien clair…
merci pour ce texte d’une évidence magnifique…
(et c’est bien pour ça que dans ma vie courante, je refuse de considérer mon portable et je ne tweete jamais !)