– Qui es-tu ?
– Moi.
– Que fais-tu ici ?
-Te voir.
– D’où viens-tu ?
– De très loin.
– Pars.
– Je reste.
– Alors reste là. Mais n’entre pas.
–  Acceptes de me reconnaître et je partirai.

***

Ta langue se délie comme tu libères ton chignon. Tes cheveux dégringolent sur tes épaules et rebondissent dans ton dos, se tendent sous leur poids et remontent comme vissés sur des ressorts. Tes boucles larges se figent, attendant une main qui les disposera plus harmonieusement sur ton crâne, me masquant pour quelques instants une partie de ton visage. Ta bouche charnue se fige, cherchant son souffle, interrompant le flot de tes mots.

***

J’ai le sentiment d’être partie depuis si longtemps. Combien d’épreuves ai-je rencontrées ? Nul ne saurait le dire. Je porte sur moi les traces d’une si longue route. À chaque étape il a fallu me dissimuler un peu plus. Quand je fus arrivée au sud, très profond dans le désert, les hommes dansaient devant une maison. Ils portaient de longs tissus blancs qui recouvraient tout le corps. Je me suis mêlée à eux. Toute la nuit une succession de pas, de passes, de piétinements. Au matin mes pieds saignaient, mon manteau était rouge écarlate. Je suis repartie vers le sud. Des hommes discutaient assis à même le sol. Leurs mains s’agitaient, leurs yeux roulaient. Je me suis avancée jusqu’au centre du cercle, je m’y suis accroupie. Les hommes se sont tus. Au bout d’un moment comme je n’avais pas bougé ils reprirent leurs échanges. La pluie s’est mise à tomber en même temps que la nuit. Au matin j’étais couverte de boue. Je ne l’ai pas nettoyée et j’ai repris ma route. Mes pas m’ont emmenés à Ifortville, c’était jour de foire. J’ai aperçu mon reflet dans le miroir accroché à l’étal d’un marchand, des poils avaient recouvert ma lèvre supérieure.

***

Fleurs colorées et fard à joue
Encadrent la bande noire horizontale
Couronne tressée en épines
Mes oreilles bourdonnent
Cavité, rondeur,
Defiance de ton regard
Apparat de froufrous
Appareillage de métal
Mes yeux pleurent
Cadavérique souffrance allongée
Révélation hypertrophiée
Charme charnel
Chimère réaliste
Dense et singulière
Ma main tremble
Miroir aux singes
Parures de perroquets

***

Tour à tour mascotte feministe, icône gay, chantre de la révolution, elle est l’universel. Ses autoportraits s’étalent au dos des tee-shirts, sur les cuisses tatouées, imprimés sur des coussins, serigraphiés sur des mugs et des assiettes. De la béat génération à la culture punk en passant par le mouvement hippie, son visage est devenu le symbole de l’émancipation, du courage, de la lutte contre l’oppression, de l’acceptation de soi… Chacun peut s’identifier à elle pour une raison particulière : bisexualité, liberté, handicap, métisse. Depuis 60 ans son image lui survit. Son visage est un vecteur marketing.