2025.01.07 | #01 | Le rouge et le blanc

C’est difficile. C’est un peu difficile. J’ai décidé d’arrêter de m’énerver.

D’essayer d’arrêter. De cesser de vérifier sans cesse que j’ai bien toutes mes armes sur moi avant de sortir. Une répartie dans le cervelet, un regard assassin au coin des yeux, un corps prêt à tout corps à corps incluant des giclées potentielles de sang. Une parano bien aiguisée. D’observer tout objet sur la route qui pourrait, le cas échéant, me permettre d’exploiter au mieux tout mouvement appris ici ou là. Surtout sous la pluie. L’eau a toujours tendance a mettre en valeur ce genre de chorégraphie, du moins le pense-je, à défaut de ne l’avoir jamais pratiqué formellement. Du bout des pouces. Sur le trottoir. Sous l’eau tombante du ciel.

Je ne prends pas cette décision par lassitude, par manque d’envie, de ressort ou d’idées, ni d’opposants potentiels ou de complots possibles, aussi idiots les uns que les autres. Donc tentants. Je n’ai pas l’impression de la prendre sur un coup de tête, je n’y ai pas assez mal pour ça, ni comme une lubie destinée à finir passagère.

Désormais, je ne veux plus reprendre et corriger, tour à tour insatisfaite, comblée ou désolée. Je renonce à m’alarmer à chaque autrui, subitement enthousiaste devant quelques décisions heureuses, puis aussitôt impatient dès que l’une résiste, avec la certitude qu’un geste me manque, ou que ceux qui me viennent sont fades, inconsistants. Je ne souhaite plus me soucier des Imbéciles, des Temps et des Désaccords, dans l’attente d’instants si lumineux qu’ils seront éphémères, ni douter de l’intérêt surtout que quiconque pourrait, ou devrait éprouver à les prendre en plein corps, ne fut-ce que d’un mot lancé à la vitesse de la lumière noire au visage de l’Inconscient.

Dans l’intention donc de ne rien regretter, et de laisser le monde exister sans le besoin de le sauver sans cesse.

J’ai simplement décidé de ne plus devoir m’inquiéter de la sauvegarde d’autrui, ni conserver des versions dépassées sur des mémoires annexes. Des disques dorsaux et des clefs de bras.

Je vois deux bébés assis par terre dans une pièce aux murs jaunis.

 L’un a un pot de peinture rouge ouvert devant lui et hurle et pleure.

L’autre a un pot de peinture blanche ouverte devant lui et est très calme.

L’autre regarde l’un calmement, puis, dans des gestes gauches et inaboutis, essaye de mettre le pot de peinture blanche devant lui.

Dans le souvenir constant d’avoir déjà perdu, une seule fois heureusement, tout contrôle sur ce petit corps encore fragile à cause d’une interruption subite du réseau pendant la connexion. Une défaillance des ondes, à l’époque. Quelques minutes, en plusieurs coups, qu’il fallut revivre de mémoire, avec la sensation progressive que les bleus et le sang revenaient identiques, à quelques détails près sans doute, des variantes insaisissables, des sœurs, sans jamais pouvoir identifier ces repentirs involontaires puisque l’originel avait disparu.

Ce matin, j’ai trouvé un pot de peinture blanche, en rangeant un pot de peinture rouge que je ne voulais plus voir. Un contenu métallique cylindrique, un peu froid, d’un blanc plutôt tendre, dans un tiroir de ma mémoire, au milieu des  et des .

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...

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