On essaiera d’être ailleurs que nulle part. Ailleurs qu’à l’heure de nulle part.
On séparera le dehors et le dedans, on dressera la porte battante. On le fera artificiellement, par jeu. On se fiera une fois de plus au hasard, sachant qu’il n’y a pas de hasard personnel. Le hasard personnel est reprise, toujours. On quittera cet insupportable ton emphatique. On y ira, on recréera le passé. On partira dans l’inconnu.
On utilisera des lignes, des passages à la ligne, des paragraphes, des phrases. On écoutera la voix, on entendra son rythme, le rythme de ses syllabes, on galopera avec les doigts, petit trot sur les touches du clavier, petit rebond à chaque lettre, tu as vu comment ça se vit, l’écrit, de lettre à lettre, de petit bruit à petit bruit à petit bruit, le rythme battra, le corps vivra, l’auteur, si ça trouve, s’inventera.
Le jour étant venu, on tirera les rideaux, accueille le jour, te voilà, seul, me voilà seule, à nous mon chou, et les vitres sont bien sales qui me séparent de la maison d’en face et de ses fenêtres qui ne me regardent pas, endormies encore.
A moins que je ne remonte me coucher.
J’éteins la lumière inutile, je n’effacerai pas ces mots inutiles, j’agis en témoin de l’inanité. Je donne le nom, non, je donne son initiale : W, rue W. Voilà, je peux aller me coucher maintenant. Non. Le labo de la rue W. Le grand laboratoire vide et de blanc carrelé de la rue W. L’un de ses quatre murs, celui sur la droite en rentrant, recouvert sur toute sa moitié supérieure d’une grande fenêtre divisée en meneaux qui s’ouvraient verticalement, quelques uns, pas tous, quelques uns disposaient d’une poignée horizontale, qu’on abaissait pour ouvrir le carreau qu’on tirait vers soi, quelques uns, un seul peut-être, était doté d’un ventilateur. Tout le long des quatre murs courrait la paillasse, une table carrelée de blanc elle aussi, encastrée dans le mur, par endroits trouée de profonds lavabos rectangulaires de faïence blanche, et abritant des placards dont les portes de bois peintes en blanc s’ouvraient d’un petit coup sec accompagné d’un bruit bref caractéristique par une poignée métallique verticale, dont le design fuselé rappelait les années 60. Dans l’un des 4 coins de la pièce, le plan de travail s’interrompait, et, alors que ça paraît tout à fait improbable, il me semble me souvenir qu’il y avait une douche, ou deux, je ne sais plus sous quelle forme, et que le sol à cet endroit, toujours carrelé, était abaissé, formait une sorte de pédiluve de piscine, équipé d’ailleurs d’un grille métallique carrée d’évacuation d’eau. L’espace du laboratoire était clair, nécessitant rarement la lumière des néons pendus au plafond. Cet endroit avait dû être très occupé, je veux dire, je les vois, les laborantins en blouse blanche, tous assis sur des tabourets, il en restait d’ailleurs 2, penchés sur leurs tubes et leurs petites affaires à faire quoi? Nul ne le sait plus. Tandis qu’au dessus du coin à la douche qu’il n’y avait probablement pas, j’avais fini par remarquer une petite trappe surélevée dans le plafond. Qu’un jour je ne sais comment j’étais arrivée à soulever, à me hisser alors dans ce grenier caché pour y découvrir, sous une hauteur trop basse de plafond pour s’y tenir debout, quelques tonneaux vides. Je m’étais alors installée là, assise au sol, en tailleur, avec cette idée, saugrenue, de ne plus en ressortir. Il va de soi que ça n’avait pas longtemps tenu, que j’étais ressortie de mon abri, ma cachette, personne probablement ne s’étant aperçu de ma disparition. De cet endroit, je n’avais révélé l’existence à personne.
(Le laboratoire était attenant à l’arrière de la maison, son toit plat se penchant de toutes les fenêtres côté cour. Il n’avait aucune utilité. Mes frères y ont joué au ping pong. Pour atteindre aux parties occupées de la maison, il fallait traverser le dépôt de toiles du rez-de-chaussée, ne trouver personne dans la salle de télé et grimper les escaliers. Moi, je jouais au jokari, seule, sur les pavés de l’allée qui longeait la maison, où l’on parvenait par le laboratoire.)
Je crois que ça ira bien comme ça.
« Le hasard personnel est reprise, toujours. On quittera cet insupportable ton emphatique. On y ira, on recréera le passé. On partira dans l’inconnu.
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On utilisera des lignes, des passages à la ligne, des paragraphes, des phrases. On écoutera la voix, on entendra son rythme… »
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… j’avais fini par remarquer une petite trappe surélevée dans le plafond. Qu’un jour je ne sais comment j’étais arrivée à soulever, à me hisser alors dans ce grenier caché pour y découvrir, sous une hauteur trop basse de plafond pour s’y tenir debout, quelques tonneaux vides. Je m’étais alors installée là, assise au sol, en tailleur, avec cette idée, saugrenue, de ne plus en ressortir.
Tout me va dans votre approche, forme et fond. Je me réjouis à l’avance de vous lire et relire.
Je vous remercie Marie-Thérèse, cela me fait très plaisir.
Je me sens un peu dépassée, sans que ce soit dramatique : il faut continuer.
Pas facile non plus qu’il y ait tant à lire, des autres. Je voudrais le faire davantage, mais il y a tellement. Et alors, commenter… Parfois, je voudrais juste pouvoir glisser un « Lu, apprécié, beaucoup »… Me contenter de mettre un petit like….
Ce serait vraiment dommage de fonctionner ici comme sur les réseaux sociaux qui ne permettent pas les nuances personnalisées. Lire et commenter les autres n’est pas une obligation, juste une courtoisie de bienveillance qui peut donner une indication de l’impact ponctuel d’une écriture en travail. Ne pas hésiter à butiner…Mais c’est aussi une question de disponibilité et d’affinités. Dans un groupe donné qui évolue , il y a des mouvements d’attraction et de retrait, l’accepter permet de rester sincère et ouvert.e à l’inattendu. C’est comme cela qu’on y trouve ce qu’on cherche ou pas d’ailleurs. « Le goût de l’autre » et du « bien dit » ( Duras). Aller au feeling n’est pas la pire des méthodes. Et surtout, éviter l’écueil tentant de superviser la démarche de l’autre en prenant des postures d’animation d’atelier. La légitimité vient de soi, non d’aucun.e autre, on est plus à l’école ou à la fac. Je crois aussi qu’apprendre à devenir bon lecteur ou lectrice c’est d’y consacrer le meilleur de nous mêmes sans chercher la réciproque. Rester du côté de l’attente non quémandeuse. Mais je ne vous apprends rien, n’est-ce pas. J’accorde juste nos archets…
Merci et pardon d’avoir mis autant de temps à répondre ! Vous avez tout à fait raison Marie-Thérèse, et je vous suis sur toute la ligne. Aussi je butine, je vais au feeling. Je regrettais seulement de ne pas plus facilement trouver le mot, le petit mot, le petit signe de connivence… La réponse juste:)