Il n’est pas grand. C’est le seul caractère qui lui est venu à l’esprit quand elle a commencé à s’intéresser à lui. Elle lui voulait une particularité physique visible à la première lecture. Elle a choisi d’emblée petit. Pourquoi petit ? Elle se l’est demandé souvent mais elle n’a trouvé aucune réponse. Il est petit, un point c’est tout. Petit… et… beau. Beau… en réponse au fantasme du facteur qui séduit toutes ces femmes seules et désœuvrées (sic !) à la maison… Sur la fiche signalétique elle a noté
Taille : 1m 60
Poids : un léger embonpoint
Cheveux : bruns et bouclés
Yeux : noirs
Bouche : bien dessinée
Nez : droit
Peau : claire
Particularité : une fossette au menton
(En filigrane la tête de l’acteur Vincent Lacoste)
Extrait du journal intime de Frank Falhaud
(à dater)
Longtemps j’ai oublié de grandir et quand j’en ai pris conscience, il était trop tard pour prétendre à une grande taille. Est-ce que j’en ai souffert ? La souffrance ne fait pas partie de mon vocabulaire. Est-ce que ça m’a gêné ? J’aurais aimé aborder le temps des amours avec quelques centimètres de plus… mais, comme je l’ai déjà écrit… je n’ai pas de grandes ambitions pas plus dans ce domaine que dans d’autres et je me contente facilement de ce que j’ai. D’autant plus facilement que je me trouve plutôt une belle gueule… tout n’est pas perdu !
Pour elle, ce personnage a existé d’abord par le nom qu’elle lui a déniché et qui était, au commencement, la seule constante tandis qu’ils avançaient ensemble dans la fiction. Mais le corps, celui de ce personnage, de Frank Falhaud, lui, est plus versatile. Elle est en permanence sur le qui-vive afin qu’il ne lui échappe pas, qu’il ne se dérobe pas ce corps, qu’il ne se transforme pas à son insu. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle elle lui a imposé ces 1m 60, cette constante visuelle qui l’aide à conserver au moins sa silhouette. Et puis Frank Falhaud est facteur et en tant que facteur il a un uniforme qui efface les détails de son corps, ne lui laissant que sa taille et sa corpulence. Le corps du facteur… le corps des facteurs… le corps du petit facteur… indissociable de son vélo et de sa sacoche. Ce corps qu’elle évite, qu’elle fuit, ne sachant encore quelle description en faire et comment la faire.
Extrait du journal intime de Frank Falhaud
(à dater) novembre
Cette semaine vente des calendriers de la Poste. J’aime cette période pendant laquelle chaque soir, je quitte le froid de la rue pour pénétrer dans la chaleur des foyers où je suis assailli par les lumières, odeurs, atmosphères, différentes les unes des autres. Voyage de sensations. Je me frotte à l’intimité épaisse des intérieurs en hiver. Jamais en uniforme. Il y a toujours ce temps de latence infime qui me réjouit, avant d’être reconnu. Je sens leur regard converger vers moi et me détailler tandis que je sors les calendriers de la sacoche et les leur présente. Étranges sensations mêlées de pudeur et de plaisir. Les corps se regroupent, se rapprochent, se penchent les uns par-dessus les autres. Le temps d’une respiration et leur souffle m’est familier.